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embarassé et demandait grâce ; il ne l’obtint jamais. Dans ses papiers, on a dû trouver un calepin rempli de vers, écrits d’une petite écriture obscure, bouclée et mal formée. C’est un poème que la Muse composa, d’une façon foudroyante, sur un séjour de vingt-quatre heures qu’elle avait fait à Mantes avec Flaubert qu’elle compare à « un buffle indompté des déserts d’Amérique, » pendant qu’elle s’assimile à La Vallière et à Fontanges. Flaubert souriait de cette poésie saugrenue, où les images transparentes s’efforçaient de devoiler ce qu’elles auraient dû cacher, mais au fond il en était flatté, il redoutait cependant les railleries et ne montrait pas volontiers cet épithalame à Louis Bouilhet.

Il y a des femmes qui sont comme les nèfles et qui deviennent bonnes en vieillissant ; ce ne fut pas le cas de Louise Colet : elle ne chôma jamais de médisance. Lorsque le succès de Madame Bovary fit éclater le talent et la réputation de Gustave Flaubert, de celui auquel Pradier l’avait engagé à donner des conseils, elle fut exaspérée. Elle publia un sonnet pour proclamer que le livre était écrit en style de commis voyageur ; elle traitait Flaubert de Normand madré et déclara que son triomphe était le résultat des réclames qu’il s’était fait fabriquer dans les journaux. Mieux que personne cependant elle aurait dû savoir que « les articles de complaisance » sont insuffisans à établir une réputation et ne donnent pas de talent aux gens qui en manquent. Son ressentiment dépassa la mesure ; dans son roman de Lui, elle reproche sournoisement à Léonce, — à Flaubert, — de ne pas lui avoir envoyé 10,000 francs en échange d’un album que j’ai feuilleté et qui valait bien 50 écus. Elle avait souvent besoin d’argent, car ses œuvres étaient peu recherchées ; elle n’était pas riche : son mari était mort en 1851 et ses revenus n’avaient point augmenté. Un philosophe qui fut ministre de l’instruction publique n’eut pas à lui refuser une pension de 2,400 francs ; mais cette pension fut réduite à une indemnité annuelle de 1,500 livres, à la suite d’une petite aventure qui eut des coquelicots pour témoin et un garde champêtre pour rapporteur.

Je ne sais comment elle était parvenue à s’emparer des lettres de Benjamin Constant à Juliette Récamier, lettres passionnées qu’elle montrait à qui désirait les voir et qu’elle avait même commencé à imprimer en feuilletons, lorsque les héritiers légitimes chargèrent un huissier d’interrompre la publication. La prose rendait peu, la poésie ne rendait rien ; elle prit sa meilleure plume et rédigea des articles de mode ; elle vanta des couturières, des cordonnières, des corsetières et des gantières ; elle célébra des cold-cream, exalta des eaux de toilette et chanta le velouté des nitrates de bismuth que l’on déguise en poudre de riz. Il était loin le temps où « un amateur » enthousiaste faisait imprimer ses œuvres complètes en