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effacé, rêveur, eût été son peintre de prédilection. C’était un gourmet d’esprit, et il se délectait à certaines phrases dont le tour, un peu vieilli, avait pour lui le charme que l’aspect des feuilles mortes a pour quelques paysagistes. En dehors du journalisme, il a peu écrit, mais les préfaces dont il a fait précéder les différentes réimpressions qui forment sa Bibliothèque spirituelle sont des merveilles de grâce et des chefs-d’œuvre de goût. Je le comparerais volontiers à ces vins dépouillés dont la robe est un peu pâle, mais dont le bouquet est délicieux. Quel type de lettré et quelle simplicité dans la quintessence même où il se plaisait ! C’est lui plus que nul autre qui avait donné au Journal des Débats cette attitude littéraire où, pendant la durée du (second empire, il a trouvé son meilleur succès. Entre les feuilles quotidiennes et les revues, les Débats formaient une sorte d’intermédiaire où la politique et la littérature se côtoyaient en se faisant valoir ; les variétés d’Ernest Renan étaient une bonne fortune pour les lecteurs, comme les articles de Prévost-Paradol. Pendant la période où la polémique fut interdite, Silvestre de Sacy fut l’âme du journal et cette âme ne manqua ni d’ardeur, ni de délicatesse.

L’existence de Silvestre de Sacy était simple ; elle s’écoulait dans son appartement du palais de l’Institut, où il était logé près de la bibliothèque Mazarine, dont il était le conservateur depuis 1848. Dans sa famille, à laquelle il était profondément dévoué, près de ses livres qu’il aimait avec passion, il vivait paisiblement, frugalement, comme un sage. Une invitation, qui devait alors être considérée comme un ordre, l’appela au château de Compiègne. Il y subit l’enivrement des lumières, des diamans et des parfums. En pénétrant dans cette féerie réelle, le cénobite fut ébloui et le cœur du janséniste ne résista pas aux vanités de ce bas monde ; il n’eut pas la force de dire : Vade retro ! et il fut charmé. Il en parlait avec extase, il agitait ses petites mains et poussait des exclamations comme au souvenir d’une vision surhumaine. Il en revint troublé. Qui aimait-il ? Il ne le savait plus guère. Qui ? Mme de Sévigné ou l’impératrice ? L’une avait un sr beau style ! l’autre était si blanche ! la marquise avait tant d’esprit ! la souveraine avait tant de grâce ! Dans l’intimité, on le plaisantait ; il souriait de bon cœur, mais avec un soupir. Sa lampe lui semblait terne quand il se rappelait les lustres de cristal étincelans de clarté. Son enthousiasme était sincère, si sincère qu’il en fut nommé sénateur. Edouard Bertin lui signifia son congé de rédacteur en chef dans une lettre qui fut publiée en tête du Journal des Débats[1]. Sacy était rejeté dans la rédaction littéraire et devait s’y confiner. On jour, un homme de lettres lui

  1. Voir les Débats du 27 décembre 1865.