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comprit que tôt ou tard la lutte éclaterait entre deux nations Voisines qui se croyaient de force égale et voudraient se disputer le droit à l’influence. Sous cette impression, il écrivit son livre de la France nouvelle dont bien des propositions peuvent paraître discutables, mais où la prophétie devient poignante, car elle a été accomplie. En termes qui n’ont rien de nuageux, il annonça la guerre et prédit la défaite. S’il eût vécu, il aurait pu s’écrier comme Chateaubriand après la révolution de Juillet : « Inutile Cassandre, j’ai assez fatigué la monarchie de mes avertissemens ! » Les avertissemens de Prévost-Paradol et de bien d’autres ne furent point entendus. La loi militaire que proposait le maréchal Niel et qui pouvait nous sauver subit des modifications équivalant à un rejet ; on sait ce qu’il en advint. Prévost-Paradol fut traité de « mauvaise langue » et l’on attendit que notre désastre fût complet pour le louer de l’avoir prévu. Lors de la formation du ministère du 2 janvier 1870, dont l’avènement assurait les institutions libérales, Prévost-Paradol qui, deux fois candidat à la députation, avait échoué devant les électeurs, ne se réserva plus et se déclara prêt à servir le nouvel ordre de choses. En réalité, il n’avait jamais demandé que la liberté ; il l’avait, il l’accepta, s’y rallia et fut conséquent à lui-même. On ne lui ménagea pas les reproches et on cria à la trahison. Les hommes qui l’avaient attiré pour servir leur passion et non pour aider à sa fortune s’éloignèrent de lui, lui battirent froid et semblèrent se demander s’ils n’avaient point réchauffé la vipère. Prévost-Paradol en fut plus affecté que de raison ; il ignorait que le besoin d’insulter les vaincus et de dénigrer les victorieux est d’essence humaine. Pendant que ses anciens amis ne parlaient de lui qu’avec réticence, les hommes rattachés à l’empire libéral, Odilon Barrot, Freycinet, Dupont-White et bien d’autres redoublaient de prévenance à son égard et, dans la commission de décentralisation dont il faisait partie, semblaient attendre qu’une parole tombât de ses lèvres pour déterminer une résolution et clore un débat. Tandis que les orateurs parlaient de leur siège, on lui improvisait une tribune, on faisait silence pour l’entendre, et on l’applaudissait. Je l’ai écouté pendant ces discussions auxquelles j’assistai ; il m’a été facile de reconnaître qu’il ne comprenait rien au mouvement démocratique qui soulève les nations et dont le suffrage universel est l’instrument d’indécision ! il croyait encore pouvoir sauver la prépotence de la bourgeoisie, des « classes éclairées, » comme il répétait après tant d’autres ; il s’imaginait que les réformes politiques peuvent apaiser l’appétit social et que les saccageurs de société s’arrêtent d’eux-mêmes à l’aspect d’un mécanisme libéral. Il répétait en 1870 ce que l’on avait dit en 1830, semblable à un jeune Épiménide doctrinaire