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n’assistait que rarement aux séances de la chambre ; il s’était jeté dans une voie toute différente ; il s’occupait de controverse religieuse et discutait avec une ardeur juvénile la question de l’infaillibilité du pape. Il fallait bien se décider à lui donner un successeur. En dehors de M. Gladstone, aucun membre du parti libéral ne s’imposait par une supériorité incontestée de talent ou de caractère. On passa en revue les différens noms auxquels on pouvait songer : M. Bright, M. Lowe, sir William Harcourt, M. Goschen, M. Forster, lord Hartington. Ces deux derniers seuls furent sérieusement mis en balance. Le rôle joué par M. Forster dans le précédent cabinet avait été beaucoup plus brillant que celui de lord Hartington. Malheureusement les réformes en matière d’enseignement dont il avait été, soit le promoteur, soit l’avocat, lui avaient aliéné certaines fractions du parti libéral. Il se rendait parfaitement compte de cette situation, et il eut le désintéressement de conseiller lui-même le choix de lord Hartington. Les radicaux, depuis quelque temps, traitaient assez dédaigneusement ceux qu’ils appelaient les magnats, c’est-à-dire les chefs des grandes familles de l’aristocratie whig. Dans les mauvais jours de 1874, ils furent heureux de trouver parmi ces magnats un homme en état d’inspirer confiance au parti libéral et d’arrêter sa désorganisation. Lord Hartington était le fils aîné et l’héritier du duc de Devonshire. Avec un talent oratoire ordinaire, un grand sens, un caractère sûr et droit, il tint fort convenablement la place rendue libre par le découragement et la mauvaise humeur de Gladstone. Grâce à lui, on put empêcher que la défaite ne se changeât en déroute, on put attendre et préparer la revanche.

Elle ne vint qu’au bout de six ans. De 1874 à 1880, Disraeli eut en Angleterre une situation presque aussi forte que celle de Pitt pendant son premier ministère : plus de 100 voix de majorité dans la chambre des communes, l’appui de l’opinion publique, la confiance de la reine. Le pays était fatigué de réformes. Disraeli lui donna autre chose : il lui donna des satisfactions d’amour-propre, que Gladstone avait eu le tort de dédaigner. Sous lui l’Angleterre se remit à jouer un rôle en Europe. Elle intervint dans le règlement de la question d’Orient, prit part au congrès de Berlin ; elle s’annexa Chypre ; elle acheta une grosse part d’intérêt dans le canal de Suez. En Asie, en Afrique, elle entreprit des expéditions, étendit les limites de ses possessions. La reine Victoria, sur le conseil de son premier ministre, prit le titre d’impératrice des Indes. A la suite de cette innovation, la politique de Disraeli reçut de ses adversaires le nom de politique impériale. On se lasse de tout : on se lassa de la politique impériale comme on s’était