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l’Irlandais, il subit des augmentations de redevance, même excessives, plutôt que d’abandonner sa ferme, ou si, par hasard, il l’abandonne, un autre vient immédiatement prendre sa place. C’est du moins ainsi que les choses se passaient autrefois. Il n’en est plus de même depuis l’établissement de la ligue agraire, qui interdit à ses adhérens et même à tout Irlandais de prendre la place du fermier évincé.

Les fermiers auraient voulu être à l’abri des expulsions ; ils auraient voulu être à l’abri des augmentations de fermages ; enfin ils auraient voulu pouvoir librement aliéner leur tenant right. En d’autres termes, ils demandaient que l’on constituât en leur faveur un véritable droit de propriété, non plus vague et mal défini comme dans la loi de 1870, mais solidement établi et sérieusement protégé. En fait, un fermier qu’on ne pourrait congédier, dont on ne pourrait augmenter le fermage, qui aurait le droit de céder à prix d’argent sa situation, ce fermier-là serait un véritable propriétaire. Le programme était séduisant. On le résuma en trois formules courtes et saisissantes : Fixity of tenure ; fair rents ; free sale ; en français : stabilité de la tenure, fermage modéré, liberté de la vente. C’est ce qu’on appelle le programme des trois F. Le parti du home rule l’adopta et pendant plusieurs années Isaac Butt présenta au parlement, sans succès d’ailleurs, des projets de lois reposant sur ces bases. Toutefois, jusqu’à la mort de Butt, la question agraire resta au second plan. La poursuite de l’autonomie politique et législative de l’Irlande était la principale préoccupation du parti. En 1879, un revirement se produit. Butt vient de mourir : la direction du parti passe aux mains d’un homme nouveau, Charles Stewart Parnell, élu député par le comté de Meath en 1875. L’autonomie politique reste toujours, pour le nouveau chef du home rule, le but final ; mais il sait qu’entre une question politique et une question sociale, c’est forcément cette dernière qui passionne la masse. La question du home rule n’est qu’une question politique ; la question de la tenure est une question sociale. Dès lors le choix de Parnell est fait. Immédiatement après la mort de Butt, il organise une agitation contre les fermages (anti-rent agitation). Des réunions sont tenues, chaque dimanche, dans une des villes principales de l’Irlande, à Dublin, à Cork, à Limerick ; les députés du home rule, à tour de rôle, montent sur la plate-forme et prononcent des discours ; d’autres orateurs leur font écho ; la question de la terre est discutée sous ses différentes faces ; le programme des trois F est exposé, commenté, défendu ; la grande propriété et les grands propriétaires sont attaqués avec violence et rendus responsables de tous les maux du pays. En peu de mois, l’organisateur de cette agitation devient l’homme le plus populaire de l’Irlande : aux élections de 1880, il est élu concurremment par trois collèges.