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provisoire et sous certaines conditions. Cela se passait en mars, au lendemain de la découverte d’un complot ayant pour but de faire sauter Mansion House, la résidence du lord-maire de Londres. Puis en mai on arrêta un des membres les plus violens de la députation irlandaise, M. Dillon, et plusieurs autres chefs de la ligue agraire. Enfin, en octobre, on frappa un grand coup ; on arrêta Parnell lui-même. On était en vacances parlementaires : le chef du home rule était à Dublin, à l’hôtel Shelburne, lorsque les agens se présentèrent pour s’assurer de sa personne. Il fut conduit à la prison de Kilmainham. En réponse à cette arrestation, le comité directeur de la ligue agraire fit immédiatement paraître le manifeste : No rent (Pas de fermages). L’arrestation est du 13 octobre ; le manifeste est du 19. Il porte les signatures de MM. Parnell, Dillon, Rettle, Brenman, Sexton, détenus à Kilmainham, celle de Michel Davitt, détenu à Portland, et enfin celle du trésorier de la ligue, Patrick Egan, à Paris. Voici le principal passage de ce document resté célèbre : « Le pouvoir exécutif de la ligue agraire nationale, obligé d’abandonner le système qu’il avait d’abord conseillé, se voit contraint d’engager les fermiers à ne pas payer leurs arrérages jusqu’à ce que le gouvernement se soit décidé à abandonner sa politique de terrorisme et à rendre au peuple la jouissance de ses droits constitutionnels. Ne soyez pas inquiets de l’arrestation de vos chefs. Vos prédécesseurs ont obtenu aussi l’abolition de la dîme, et cela sans l’aide de la puissante et magnifique organisation qui enveloppe en ce moment l’Irlande tout entière. Ne vous laissez pas intimider par les menaces de la force armée ; il est aussi légal de refuser le paiement des arrérages que de le recevoir. » On prétend que les signatures des chefs alors détenus furent matériellement apposées au bas du document. Un individu, affilié à la ligue agraire, serait parvenu à s’introduire dans les deux prisons et à recueillir les signatures dont il s’agit. Ce serait un joli tour de force.

Cet incident jetait un peu de ridicule sur le gouvernement et lui montrait en même temps l’impuissance de sa loi pour la protection des personnes et des biens. Du fond de leur prison, les détenus de Kilmainham étaient plus puissans que le premier ministre et le secrétaire en chef d’Irlande. M. Gladstone et M. Forster, avec la loi pour eux, avec l’armée et la police à leurs ordres, ne parvenaient pas à se faire obéir ; ils n’étaient même pas sûrs que leurs prisonniers fussent sérieusement gardés. M. Parnell, au contraire, n’avait qu’à parler, il était obéi ; pour les trois quarts des fermiers irlandais, le vrai gouvernement, c’était la ligue agraire. Sans se lasser, M. Gmadstone changea encore de système. M. Forster refusa de le suivre dans sa nouvelle évolution. Le ministre d’Irlande était entré dans le cabinet comme partisan de toutes les libertés les