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les matières financières et administratives, M. Trevelyan, neveu du grand historien Macaulay.

Toutes les combinaisons par lesquelles M. Gladstone a essayé jusqu’à présent de résoudre la question agraire en Irlande se préoccupent presque exclusivement, le lecteur a pu le voir, de la situation des fermiers, ou pour employer le terme propre, des tenanciers. Ce sont leurs réclamations qu’on a formulées en articles de lois. C’est à leurs intérêts qu’on a sacrifié et ceux des propriétaires et ceux aussi des travailleurs ruraux. Les fermiers, en effet, ne représentent pas toute la population agricole. Certes, les fermes étant très nombreuses et très petites en Irlande, la plupart des fermiers n’ont besoin que de leurs propres bras et de ceux de leurs familles. Le chiffre des travailleurs ruraux est donc moins considérable qu’ailleurs ; cependant il est encore assez élevé. Cette classe si intéressante de la population est complètement laissée de côté par les différens bills de M. Gladstone. C’est une lacune qui a été signalée dès l’année dernière dans un remarquable article de la Revue d’Édimbourg attribué à la plume du directeur, M. Reeve. Les fermiers eux-mêmes, je parle des fermiers obérés, de ceux qui dépensent plus qu’ils ne gagnent, ne garderont pas longtemps le cadeau que le gouvernement leur a fait aux dépens des landlords. Ils ont le droit d’aliéner leur intérêt dans la terre ; ils le vendront ; ils le vendent déjà, ou bien ils l’engagent. Dans quelques années, cet intérêt aura plusieurs fois changé de mains. On aura enlevé aux propriétaires une partie de la valeur des terres ; elle n’aura fait que passer par les mains des fermiers obérés, et finalement elle appartiendra ou aux créanciers de ces fermiers ou à d’autres fermiers plus aisés, plus heureux ou plus prévoyans. Rien au monde ne pourra empêcher ce phénomène de se produire. Aussi le parti conservateur, actuellement dans l’opposition, en est-il arrivé à penser qu’au lieu de développer outre mesure les droits des fermiers, de leur donner une copropriété que la plupart d’entre eux ne pourront même pas garder, il aurait mieux valu faire des sacrifices pour constituer une classe de paysans vraiment propriétaires. C’est l’idée qu’a exprimée récemment dans un meeting à Liverpool le leader du parti conservateur, le marquis de Salisbury, chez qui l’attachement aux traditions politiques de son parti n’exclut ni la largeur des vues ni la hardiesse des initiatives. En effet, la propriété proprement dite, k petite propriété individuelle, telle que nous la voyons fonctionner en France, apporte au paysan des habitudes de prévoyance et d’économie que le tenant right ne lui donne certainement pas au même degré. D’ailleurs la propriété individuelle ne serait pas un pur cadeau ; pour l’acquérir il faudrait la payer au