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moins par voie d’annuités. Les petits propriétaires ruraux institués par ce procédé offriraient donc des garanties que ne présentent pas les tenanciers actuels. Le programme de lord Salisbury nous paraît plus libéral et en même temps moins dangereux que le système de M. Gladstone. Il ne peut malheureusement pas être appliqué, quant à présent, par les conservateurs, puisque ces derniers ont peu de chances, tant que durera le parlement actuel, de reprendre le pouvoir. Des élections générales peuvent seules leur rendre la majorité. Il faudrait donc que M. Gladstone, comme cela s’est vu plus d’une fois en Angleterre, acceptât les vues de ses adversaires politiques et se chargeât de les mettre en pratique, modifiant profondément la marche qu’il a suivie depuis deux ans. Il rendrait à coup sûr un grand service à son pays ; car s’il y a encore une voie par laquelle on puisse résoudre pacifiquement la question agraire en Irlande, c’est celle qu’indique lord Salisbury.

Trois formes de propriété ont tour à tour ou simultanément existé sur la terre : la propriété collective de là tribu ou du clan, c’est le système des peuples nomades ou pasteurs, des Arabes du désert, des anciennes populations celtiques de l’Irlande et de l’Ecosse ; la propriété féodale, modification de la propriété collective, établie le plus souvent par voie de conquête, transportée au moyen âge par la race germanique partout où elle a dominé ; enfin la propriété individuelle, forme supérieure aux deux autres, que les Romains, avec leur génie juridique, ont définie, systématisée, qu’ils ont assise sur la base puissante d’une législation monumentale. Celtiques par l’origine, mais romaines par l’éducation, par la langue, par les lois, les nations de l’Europe occidentale, la France spécialement, ont toujours eu le goût, la passion de ce dernier genre de propriété. Aussi l’organisation féodale de la propriété rurale, même atténuée, modifiée, adoucie, réduite à sa plus simple expression, a-t-elle été rejetée par notre pays dans une convulsion suprême. La révolution de 1789 n’a pas été seulement une révolution politique : elle a été aussi, elle a été surtout une révolution agraire. Révolution accomplie au prix de quelles luttes tragiques, de quel sang répandu, de quels crimes atroces ! Et cependant, malgré ses souillures et ses scories, elle répondait tellement, dans sa pensée intime et dans son principe mystérieux, à tous les instincts, à toutes les conceptions de notre race, que, moins de vingt-cinq ans après la vente des biens qualifiés de nationaux, il n’était pas un homme d’état, pas un politique sérieux qui ne considérât cette mesure révolutionnaire, sinon comme légitime, du moins comme irrévocable. Louis XVIII et Villèle le comprirent. Par la ratification des ventes de biens nationaux, par le milliard voté aux émigrés, —