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personnage : c’est le vieux Charon, le nautonier des enfers, que Virgile représente avec une barbe en désordre, des yeux où brille la flamme, un vêtement sale, sur l’épaule, et un aviron à la main qui lui sert à écarter la foule des morts. Dans les altérations que les Étrusques lui ont fait subir pour qu’il devînt le bourreau des âmes, ils ont encore imité la Grèce, car il semble qu’ils ne puissent pas se passer d’elle. Polygnote voulant représenter Eurynomos, le démon de la putréfaction, avait imaginé, dit Pausanias, de lui donner une couleur bleu sombre, comme celle des mouches qui s’attachent à la viande. Mais ce ne sont là chez les artistes grecs que des fantaisies d’un moment. Ils les abandonnent vite, quand leur caprice est satisfait, pour revenir à la simplicité et au naturel. Dans la peinture des enfers, ils ont remplacé autant que possible les monstres par des allégories, la Terreur, le Chagrin, le Sommeil, etc., qui leur donnent l’occasion de reproduire de nobles attitudes et de belles formes. Les Étrusques, au contraire, se sont enfoncés dans l’horrible ; leur imagination a pris plaisir à des spectacles repoussans. On voit bien que cette société, en vieillissant, se livre aux terreurs de l’autre vie. Elle prend plaisir à peupler de monstres ce monde inconnu ; elle en. fait un lieu d’épouvanté. Elle invente toute espèce de tortures pour les morts et suppose qu’en devenant malheureux, ils deviennent malfaisans et cruels. On les contentait, autrefois avec des fêtes joyeuses ; ils demandent maintenant des supplices, ils veulent qu’on arrose de sang leurs, tombeaux, et l’Étrurie invente les combats de gladiateurs pour les satisfaire. Sur les murs de leur dernière demeure on ne représente plus, comme autrefois, des chasses ou des danses, mais des scènes de meurtre. Une tombe, découverte à Vulci par Alexandre François, est ornée de peintures excellentes, comparables pour, l’exécution aux plus belles qui nous restent de l’antiquité. Le sujet en est tiré de l’Iliade ; mais, par un étrange et lugubre caprice, l’artiste a été choisir dans le poème homérique la scène qui nous choque le plus, celle où Achille ayant pris dans le fleuve. Xanthe douze Troyens nobles et vaillans, les ramène « comme de jeunes faons tremblant de frayeur » et les immole de sa main à l’ombre de son ami Patrocle. Homère ne semble parler qu’avec répugnance de cette action de son héros, et il la condamne en la racontant. « Achille, nous dit-il, était, agité de sombres et cruelles pensées. » Comment se fait-il que, plusieurs siècles après, en pleine civilisation, un peintre ait précisément reproduit de préférence ce que le poète naïf d’une époque, barbare aurait voulu dissimuler ? On dirait même que ce sujet ne lui a pas paru assez repoussant ; il a éprouvé le besoin de le rendre plus sombre, en y mêlant la figure hideuse et bestiale de Charun, le démon, se tient à côté d’Achille, et semble l’exciter à accomplir l’immolation