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et le ménagent avec économie ; ils soutiennent leurs familles ordinairement nombreuses, mais les impositions les réveillant et les rendent plus attentifs au gain. » Il n’y a que la moitié du portrait qui reste véritable. Bignon en prend à son aise avec les contributions comme moyen de réveiller les gens, et il attribue à la race des défauts d’inertie qui venaient de la mauvaise administration. Les Picards sont restés économes, ils ne sont plus inertes et imprévoyant. On fera la part de ce qui reste vrai dans ce que dit encore d’eux, le même intendant : « Contens de vivre au jour la journée, ils sont ordinairement pleins de bon sens, mais nullement vils et subtils, quoiqu’ils sachent d’ailleurs aller à leurs fins. Ils vivent sans beaucoup de liaison avec les autres. Ils sont difficiles à redonner leur cœur quand il s’est une fois éloigné. » — Ils sont bons soldats, tant parce qu’ils sont accoutumés à une vie dure, que parce que leur naturel les porte aux arme ». » — La réputation de mauvaise tête, qui se rapporte à l’humeur plus qu’à l’esprit qu’ils ont fort rassis, est justifiée dans le passé par la coutume du mauvais gré qui existe dans ce pays, oui il prend une extension désastreuse avec le droit de marché dont nous aurons à parler au sujet de la constitution et des modes de fermages. Le paysan picard est aujourd’hui essentiellement positif, moins ergoteur, moins porté à l’humeur processive, que ne l’est le paysan normand, bien que le caractère soit assez souvent querelleur. Il a un éloignement naturel pour tout ce qui est chimère et aventure, et n’a jamais eu les grandes audaces des Normands d’autrefois, matins et colonisateurs. Doué de qualités d’observation remarquables, naturellement caustique, volontiers conteur, il représente encore assez bien le vieil esprit gaulois. Ou assure que cet esprit est servi par un patois pittoresque, qui d’ailleurs disparaîtra pour faire place à un français incorrect et défiguré par une prononciation désagréable. L’intelligence est plus vive au sud du même département de la Somme que dans la partie nord. On voit ce dont elle est capable dans les fabriques de Saint-Pierre-lès-Calais et dans d’autres villes industrielles. N« ous devons relever plus qu’on ne le faisait au dernier siècle une certaine acuité d’esprit et habileté d’exécution dans les arts industriels. La finesse du campagnard deviendra délicatesse ingénieuse chez celui-qui aura reçu l’éducation, de l’artisan. Dans les métiers d’industrie, l’esprit picard déploie habituellement plus de souplesse et s-e montre plus capable d’assimilation que de grande et hardie initiative. Ces mêmes qualités se raffinent dans les carrières libérales et se retrouvent jusque dans les lettres. En présence de certaines dentelles de soie et de coton, ouvragées avec une prodigieuse finesse par les mains d’un artisan d’Amiens, la pensée se reporte sur l’esprit agile du poète picard qui a formé la trame si