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mes sujets de conversation et ma cigarette, je leur explique en français qu’il faut m’en aller. Au geste que je fais pour me lever, une vieille à cheveux gris, assise à mes pieds, oppose toute son énergie et appuyant ses coudes sur mes genoux, me fait signe que quelque chose va venir. Résignée, je me rassois. Silence prolongé. Que dire ? je regarde les affreux mioches, — car presque tous les petits enfans arabes sont hideux : Taïb ! — Les mères, les sœurs, ont l’air flattées et rient bruyamment. Mais décidément la conversation languit et je me creuse la tête pour me souvenir d’une autre parole compréhensible ou approximative. Une idée lumineuse. Leurs noms ? Je saisis le plus petit marmot, tout nu sous sa robe de chambre de coton jaune et, regardant le cercle, j’interroge : « Mahomet ? Achmet ? Ali ? Ayoub ? » Elles ont compris. On me hurle, toutes à la fois : « Ibrahim, » et, l’une après l’autre se nomment au milieu de rires effrénés. Je ne sais plus que demander quand arrive enfin l’objet attendu. Ce n’est, hélas ! pas un café, mais une tasse d’eau extrêmement chaude et épaisse de sucre. Encore Taïb ! Je salue et je remercie. Le maître de la maison en boit une aussi. Enfin, je puis me lever. Les femmes me baisent les mains, embrassant les leurs qui avaient soulevé les miennes et me crient à tue-tête, toutes ensemble, une foule de choses évidemment aimables. Je redescends le périlleux escalier, m’accrochant à toutes les marches, sans aucune dignité, et j’allais retrouver mes compagnons, lorsque mes braves guides, me tirant par le bras, me poussent dans une autre cour. Toutes les femmes ont suivi et je comprends qu’il me faut faire une seconde visite. Je suis certes la première Européenne qui ait pénétré dans le village, et le second guide est jaloux de me recevoir. Ici répétition identique de l’autre séance ; seulement le ménage est un peu plus élégant, et puis on a eu le temps d’étendre le tapis d’avance ; mais j’ai moins d’entrain. Mes sujets de conversation sont épuisés et je ne fais plus de frais. On ne m’épargne ni la seconde tasse de sirop chaud, ni la cigarette, ni même des dattes, que l’une des femmes, avec des doigts douteux, cherche au fond d’un vieux coffre. Nous nous refaisons les mêmes adieux que dans l’autre masure. Je reçois les vœux, les baisers, les mêmes marques de courtoisie naïve et charmante. Je réponds les mêmes : Taïb ! et je cherche à me souvenir, pour me la faire traduire, de la phrase que tous répètent : « Pourquoi pars-tu si vite ? » J’étais restée plus d’une heure à faire mes deux visites chez ces aimables fellahines, et, certes, je n’ai jamais fait plus de frais d’imagination, avec moins de mots, de toute ma vie. Le soir, dans une causerie pleine d’intérêt, Daninos-Bey nous raconte l’histoire de la découverte des deux statues assises de Ne-Fert et de Ra-Hotep, les plus anciennes merveilles du musée de Boulaq, découverte à laquelle il