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Vendredi, 13 janvier.

Quand nous nous levons, par une délicieuse matinée, Esnèn est déjà loin, et nous naviguons dans une contrée plus plate qu’hier. Nous venons de quitter la grande chaîne, rose comme les Alpes dolomitiques, qui longeait le Nil depuis avant Thèbes ; Maintenant le désert approche du fleuve constamment, et par momens le côtoie. A dix heures, nous sommes à Edfou ; ici encore, grâce à la présence du consul, nous trouvons une réception officielle. Il fait vraiment chaud. Une foule d’ânes nous attendent sur la rive, au milieu de nuages de poussière. Comme toujours, cris et batailles préliminaires, et les pauvres petits baudets sont battus pour et par leurs conducteurs. Nous faisons une demi-lieue par les sentiers et par les prés les plus poudreux que j’aie encore vus ; chaque pas soulève des tourbillons. Dominant le village, les grands pylônes du temple brillent d’un éclat crémeux. Notre cortège, traversant les misérables ruelles, fait fuir les femmes voilées, qui nous observent ensuite de loin, mais en attire quelques-unes au visage découvert, aux parures éclatantes et de profession non douteuse. Devant nous courent effarés de petits buffles mugissans, surtout des moutons énormes, bruns, bourrus comme des ours, à queues gigantesques et fourrées, qu’ils traînent péniblement en fuyant. Au milieu des masures, une longue descente de marches, devant le péristyle du temple. En bas, à nos pieds, est le véritable pavé de l’édifice, le niveau d’où s’élèvent les immenses pylônes, qui plongent à 40 pieds au-dessous de nous et nous dominent du doublé de cette hauteur. Autrefois, comme encore aujourd’hui à Louqsor, les huttes des fellahs avaient, envahi le sommet de l’édifice, dont toute la base était enterrée dans le sable. Mariette, pour le déblayer, a d’abord dû démolir une centaine de leurs maisons, et maintenant l’incomparable monument est libre, presque intact dans la vaste tranchée qui le dégage. La première impression lorsque, au haut de cet escalier, nous quittons nos montures, est indescriptible. Devant nous se dresse, gigantesque, le premier pylône, massif orné de bas-reliefs, et par l’ouverture de son portail nous apercevons une vaste cour. Chaque marche que nous descendons nous laisse entrevoir d’autres cours, d’autres salles, d’autres colonnes. Ici heureusement le public est exclu. Une grille se referme sur la horde de gamins, et nous pouvons nous promener en paix. Sauf quelques parties de la toiture qui manquent, le temple est dans un état de conservation parfaite. D’abord la grande cour, éclatante au soleil ardent, soutenue par des rangées de gros piliers aux chapiteaux élégans de palmiers et de fleurs de lotus. Tout autour et au-delà,