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plus dire comme au Caire que la foule arabe n’a pas d’inconvéniens. L’odeur des fellahs venus de loin pour vendre au marché leurs chameaux, leurs ânes, la canne à sucre, les oignons, ou bien pour y acheter de la mercerie primitive, des boutons de couleur, des fils de verroterie ou des bijoux de cuivre ou d’or très grossiers, est décidément horrible, compliquée de chaleur, de saleté et d’huile de ricin à profusion. Pourtant ce marché m’amuse passionnément, malgré le dégoût presque invincible au bout d’une demi-heure. La place est fort grande, en pente, entourée de masures abjectes, surmontée de quelques ruines, de bouquets de palmiers élégans. A droite s’élève la pointe de l’obélisque de granit rose, frère jumeau de celui de Paris, mi-ensablé sous le niveau du village. En face, les belles cultures vertes, variées dans leurs tons d’émeraude. Au loin, les prés de saphir de la chaîne arabique et le désert. Les marchands sont accroupis en lignes pressées entre lesquelles la foule circule. Devant eux, sur un chiffon de toile, ils étalent leurs pauvres petites marchandises.

Les types sont très bronzés, primitifs et sauvages : mais quelle bonne grâce partout ! Notre guide pousse, frappe, marche sur les étalages, enjambe les négresses assises. On rit, on nous aide à passer. Quelques-uns, plus curieux ou plus hardis que les autres, nous suivent, battent ceux qui s’approchent par trop, car cela devient oppressant d’intimité et redoutable comme conséquences. Le soleil est bien chaud, l’huile de ricin bien abondante, et les mouches ! Bons dieux, que de mouches ! Je mène mon cortège d’Arabes jusqu’au coin où l’on vend des cannes à sucre, et là j’en fais une distribution. C’est périlleux, car ma suite grossit instantanément et l’odeur est intolérable. Trop de couleur locale. Nous reprenons nos ânes. A travers des flots de poussière, soulevés par gens et bêtes revenant du marché, nous gagnons des prairies vertes, une chaussée qui longe de loin le Nil et l’avenue de sphinx brisés penchés en tons sens dans les fossés et les bouquets de palmiers. Un splendide portail se dresse devant nous, se découpant net contre le ciel : c’est le pylône des temples des Khons et des Ptolémées. Partout ailleurs ceux-ci seraient un admirable but d’exploration. Mais nous ne nous y arrêtons pas, pressés que nous sommes d’arriver aux grands temples de Karnak ; 2 ou 300 mètres encore dans le sable et les gravats et nous sommes devant un monde de ruines, de pierres écroulées couvertes d’hiéroglyphes. Le premier aspect est déroutant, et les yeux se reposent en s’arrêtant enfin sur les deux obélisques de la reine Hatasou, purs, intacts au milieu de cet écroulement gigantesque. Nous entrons dans le dédale, puis, au tournant d’un mur, quelle splendeur inattendue ! Comment rendre l’impression que produit le grand temple, « le grand des grands, » comme celui