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pourtant ici d’une élégance extrême. Du toit plat sur lequel nous montons par des terrasses éboulées, nous avons la vue étendue sur la plaine, toute dorée à cette heure du soleil déclinant. Au retour, nous nous attardons un peu autour des « Grands Immobiles » qui nous semblent chaque jour plus majestueux. Nous y déchiffrons des inscriptions latines, celle entre autres qu’y laissa l’impératrice Sabine, venue il y a dix-sept siècles pour visiter comme nous les géants. Le vent est calmé, le ciel comme chaque soir est sans nuages, ombré d’or et de longs rayonnemens. Je suis toujours plus impressionnée de cet embrasement magique et puis surtout de l’Alpen Glühe, cette sorte de renouvellement de beauté, après que le soleil a disparu et que tout est devenu gris. Au bout d’un quart d’heure, la vie semble se réveiller ; les rochers redeviennent de pourpre et le ciel d’or, et cette lumière, peut-être un reflet du désert, continue pendant dix minutes, encore, pour lentement s’éteindre dans une nuit définitive.


Dimanche, 22 janvier.

Jour de repos. Courte visite à Karnak et flânerie autour des colonnades et des portiques. Notre table d’hôte est des plus intéressantes. Nous y avons MM. Naville, Wiedemann et Sayce, trois égyptologues des plus distingués. Un des sujets qui les occupent entre autres est l’étude des fragmens de poteries couverts d’écritures démotiques ou cursives, que l’on retrouve ici en grand nombre, et qui donnent les plus curieux renseignemens sur les mœurs égyptiennes environ six siècles avant notre ère. Ici encore, notre ignorance est prodigieusement intéressée par les détails que nous apprenons. Ces documens démotiques sont écrits, tantôt, — les plus importans, — sur des papyrus, tantôt, — et surtout ceux que les Arabes nous offrent ici pour quelques sous, — sur des fragmens de pots cassés. Ceux-ci, archives des familles pauvres qui ne pouvaient acheter du papyrus, sont des comptes, des memoranda, des contrats de marchés insignifîans ; les autres sont des testamens, des donations, des affaires sérieuses. L’état des mœurs était alors des plus singuliers. La femme y a un rôle considérable. Sa dot, ses revenus, son trousseau, son luxe lui sont assurés, même au détriment de son mari ; la plus large direction de la fortune lui est accordée ; souvent le mari n’a qu’une simple pension, seul revenu dont il puisse disposer. L’autorité de la mère prime en tout celle du père. Celle du prêtre, le choachyte, est supérieure aux deux. C’est lui le véritable maître de la famille, et voici par quelle singulières transformations successives des rites sacrés : parmi les offrandes religieuses que devait apporter le fils aîné sur la tombe, ou dans la chapelle commémorative de son père, les libations d’eau et