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Mazarin, de Richelieu, d’Henri IV. Mais on ajoutait qu’heureusement, et par une dernière faveur de la fortune, comme nous courions vers les abîmes, un grand homme était apparu tout à coup, Choiseul, qui, tirant au moins de la faute le seul parti que l’on en pût tirer, aurait jeté presque une lueur de gloire sur ce règne finissant, si sa fierté de gentilhomme n’avait refusé de ployer devant la du Barry, Ce qu’il faut penser de Choiseul et de son vizirat, — sans compter que, d’Antoinette Poisson, femme d’Étiolés, à Jeanne Bécu, fille Vaubernier, la distance n’était pas si grande, et que, d’autre part, l’alliance autrichienne était l’œuvre de Choiseul lui-même autant que de Bernis, — nous l’avions appris par le Secret du roi. Nous saurons aussi maintenant, par la Première Lutte de Frédéric II et de Marie-Thérèse, le fond que la politique française pouvait faire sur la solidité d’une alliance prussienne, et, par conséquent, de quelles espérances il eût été permis de se flatter en jouant une seconde fois, en 1756, le jeu de dupe que l’on avait joué dans la guerre de 1741. Il y a lieu de croire que, plus on approfondira l’histoire de ces deux grandes guerres et des négociations qui s’y sont entremêlées aux opérations militaires, plus on verra que, sur ce point comme sur tant d’autres, la vérité avait été victime de ce que Joseph de Maistre a nommé la grande conspiration contre elle des hommes du XVIIIe siècle. Au surplus, depuis plusieurs années, on commençait d’ouvrir les yeux, et dans divers livres estimables il se manifestait comme des velléités de contredire à l’opinion reçue. Mais ce n’était pas encore assez, et telle est la force du préjugé, qu’il ne fallait pas moins, pour l’attaquer et le vaincre, que tout le talent à la fois et toute l’autorité de M. le duc de Broglie.

Au moment même où paraissaient les dernières de ces Études diplomatiques, un jeune historien nous apportait l’élément qui manquait encore à l’examen de ce problème historique. Il nous restait en effet à savoir le rôle de la Russie dans ce jeu des alliances, et sa part dans l’œuvre de transformation du système politique de l’Europe. C’est ce que nous a fait connaître M. Albert Vandal dans un livre, très intéressant, très curieux, et digne à tous égards du, succès qu’on a vu l’accueillir[1]. L’opinion ne dispense pas toujours aussi intelligemment sa faveur, et l’Académie française n’adresse pas toujours aussi bien ses couronnes. Nous ne nous permettrons pas moins de mêler un peu de critique aux éloges dont on a comblé M. Vandal, étant de ceux qui ne sauraient lire un bon livre sans souhaiter aussitôt qu’il fût meilleur encore.

Nous eussions donc aimé que l’auteur eût non pas mieux choisi, mais mieux circonscrit son sujet, et qu’il eût un peu plus pris garde

  1. Louis XV et Elisabeth de Russie. — Étude sur les relations de la France et de la Russie au XVIIIe siècle, d’après les archives du ministère des affaires étrangères, par M. Albert Vandal, 1 vol. in-8o, Paris, 1882 ; Plon.