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protectorat collectif et assez platonique sur les bords du canal de Suez. Que ce projet repris dernièrement par l’Italie, à la conférence de Constantinople se réalise ou qu’il soit abandonné, la France ne reste pas moins dégagée de ces affaires égyptiennes. Elle n’a point abdique si l’on veut, elle s’est effacée, — elle a reconquis la liberté de ne rien faire ! Dût-elle même s’associer à cette manifestation d’un protectorat européen sur le canal de Suez, elle ne serait là que pour monter la garde sans péril ; elle ne paraîtrait que comme une auxiliaire dans ces contrées où naguère encore elle se flattait d’avoir une position privilégiée, une prépondérance traditionnelle. C’est peut-être sage, c’est peut-être nécessaire, puisqu’on n’a pas su nous préparer un meilleur rôle ; ce n’est pas moins dur et dans tous les cas, c’est ainsi. La France subit les conséquences de la politique de son gouvernement depuis quelques mois ; elle ne compte plus en Égypte. Elle n’est et ne peut être qu’une spectatrice, tandis que les événemens se déroulent désormais sous la main de l’Angleterre, qui s’est chargée seule de l’action et qui n’entend sûrement pas se laisser embarrasser par des coopérations incommodes ou laisser amoindrir par la diplomatie les résultats de son entreprise.

Quelle est en réalité la situation à l’heure qu’il est ? D’un côté, l’Angleterre a pris position en Égypte ; elle campe avec ses forces à Alexandrie et autour d’Alexandrie. L’Angleterre peut être lente à se mettre à l’œuvre et quelquefois même se montrer embarrassée au début d’une entreprise de guerre ; c’est l’histoire de presque toutes ses entrées en campagne. Seulement, une fois engagée, elle regagne bientôt le temps perdu et elle ne recule plus. Aujourd’hui les contingens militaires dont elle a besoin lui arrivent de toutes parts, de l’Inde et de l’Europe, débarquant heure par heure à Suez et à Alexandrie. Son armée se constitue ; le général qui est chargé de commander l’expédition, sir Garnet Wolseley, arrive lui-même en ce moment à Alexandrie, et les opérations décisives ne tarderont pas à commencer contre l’armée égyptienne d’Arabi, qui paraît résolue à résister dans les positions où elle s’est retranchée. Jusqu’ici il n’y a eu que quelques escarmouches peu sérieuses, mais suffisantes pour laisser entrevoir que la marche en avant ne sera pas sans quelque difficulté pour l’Angleterre. — D’un autre côté, à Constantinople, tout reste assez obscur et peu décisif. La Turquie, après avoir d’abord décliné la proposition qui lui avait été faite d’intervenir en Égypte, a fini par accepter et par souscrire à toutes les conditions, à tous les engagemens qui lui ont été imposés. Ces jours derniers, la conférence a paru se rallier à ce projet de protectorat spécial que l’Italie a proposé pour l’isthme ; mais il est bien clair que, depuis le moment où l’on offrait pour la première fois à la Turquie d’intervenir, même depuis qu’on avait parlé d’élever le pavillon européen sur le canal de Suez, les événemens ont marché et qu’aujourd’hui