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menant la vie monotone et vide de la cour, où nous savons par elle-même que l’on passait une grande partie de la journée à la table de jeu, sans jamais ouvrir un livre, observait hommes et choses, et voyait venir les événemens avec inquiétude. L’obstination du roi à vouloir imposer le catholicisme au pays préparait sa perte ; le jour où il exigea l’exposition publique du saint sacrement, elle fut assurée. Il s’attribuait en même temps certaines prérogatives qui devaient dépendre du parlement, Churchill fit de respectueuses remontrances, menaça de quitter le service et ne fut pas écouté : mieux eût valu pour sa gloire qu’il se retirât en effet. S’il ne devait à personne le sacrifice de sa conscience, il ne devait pas à son parti le sacrifice de son honneur. Ses ennemis ont attribué sa conduite au seul désir de conserver des situations lucratives ; il céda surtout aux instances de ses amis politiques, qui craignaient de voir l’armée tomber aux mains d’un jacobite. C’est le propre des époques révolutionnaires d’amener trop fréquemment ces capitulations de conscience. Les caractères assez fortement trempés pour sortir triomphans de la lutte entre les intérêts et les convictions, sont rares. Marlborough n’était pas un de ces grands caractères ; mais il n’était pas non plus le fourbe et le fripon vulgaire qu’ont voulu faire de lui de violens pamphlétaires, comme ce grand et malheureux Swift, ou des écrivains trop passionnés, comme Macaulay, dont le merveilleux talent a peut-être parfois manqué des deux qualités maîtresses du grand historien : le calme et l’impartialité.

L’espoir de la nation anglaise se tournait vers les filles de Jacques II, toutes deux zélées protestantes. Mary, l’aînée, avait épousé Guillaume d’Orange, son cousin, dont l’habileté, le ferme caractère pouvaient maîtriser la situation et qui, de plus, assurait au pays l’alliance effective et très importante de la Hollande. Ce fut donc à lui qu’on s’adressa.

La surexcitation était à son comble ; les vents contraires retenaient Guillaume et des prières étaient offertes pour le retour du vent d’est, qu’on appelait a le vent protestant. » Enfin le prince débarqua le 5 novembre 1688, jour anniversaire de la découverte de la conspiration des poudres, ce qui parut d’un bon augure au peuple. Malgré quelques avertissemens, Jacques II conserva Churchill à la tête de ses troupes et partit pour combattre son gendre. Churchill, prévenu à son tour que l’on éveillait les soupçons du roi et qu’il pouvait être arrêté, s’enfuit pour rejoindre l’armée d’invasion. Le prince George de Danemark lui-même le suivit le lendemain. Le roi, qui l’avait surnommé « Est-il-Possible, » parce qu’il se servait à tout propos de cette locution, se contenta de s’écrier : « Comment ! Est-il-Possible aussi ? » Un coup plus cruel allait le frapper ;