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affectait de séparer sa cause et celle de la duchesse, et lui écrivait : « Votre Grâce peut compter sur mon zèle à la servir et mon désir de ne jamais me trouver en antagonisme avec elle. Puissé-je vivre pour contribuer quelque jour à la réussite de vos plans ! Tels sont les vœux d’un cœur plein de joie de vos succès, de zèle pour votre service et d’amour pour votre personne. » Cette lettre fut retrouvée annotée, comme bien d’autres, par lady Marlborough : « Je n’ai pas besoin de dire ce que fut la conduite de Bolingbroke lorsqu’il tomba aux mains d’Abigaïl ; mais j’ai entendu dire à lord Godolphin que le seul reproche qu’il eût à se faire pendant son administration financière était d’avoir trop obligé Bolingbroke à la prière du duc. » Swift lui-même, stylé par ses patrons, écrivait : « Personne, que je sache, n’a jamais discuté le courage, la conduite et les succès du duc de Marlborough. Ils ont toujours été et seront toujours au-dessus de tout, malgré la méchanceté de ses ennemis et la faiblesse de ses défenseurs La nation ne veut qu’une chose, le retirer de mains dangereuses et le remettre en de meilleures. »

Ces mains dangereuses étaient bien chères au pauvre grand homme, et le jour où la reine résolut enfin de leur reprendre cette clé d’or si convoitée fut un des plus douloureux de sa vie. Quant à la duchesse, avec son impétuosité ordinaire, elle lança la fameuse clé au milieu de son salon en disant : « Qu’on la porte à qui l’on voudra. » La duchesse de Somerset la ramassa et la garda. Abigaïl devint trésorière de sa majesté. Rien de plus mesquin, de plus vulgaire, de plus méprisable que la conduite de la reine à ce moment. Sous prétexte que lady Marlborough avait endommagé quelques murs à Saint-James, en enlevant des marbres et des bronzes achetés par elle, Anne déclara « qu’elle ne ferait pas construire une maison pour cette femme qui détruisait la sienne ; » et elle ordonna de suspendre les paiemens pour Blenheim. Elle n’en avait aucun droit, le don ayant été voté par les chambres. Mais le duc dédaigna d’en appeler, prit les travaux à sa charge, et, après lui. sa femme termina pieusement ce monument de sa gloire. Sur les 7,500,000 francs que conta le palais, ils déboursèrent au moins 1,500,000 francs. L’empereur d’Allemagne, qui devait tout au duc, se montra également ingrat envers lui. Sa principauté de Mindelheim lui fut enlevée sans autre explication, pour être rendue à l’électeur de Bavière. L’empereur promit bien une compensation pécuniaire, mais il n’en fut plus jamais question.

Les historiens anglais, même les plus hostiles, reconnaissent que jamais Marlborough ne se montra si grand que pendant sa dernière campagne (1711). Discrédité près de la reine, détesté par le ministère, dépopularisé en grande partie par les calomnies répétées, privé