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militaires. Néanmoins il sentait venir la fin. Se promenant un jour dans la grande galerie de Blenheim, où se trouvait un portrait de lui dans sa splendide jeunesse : « C’était un homme, dit-il tristement, et maintenant… » Avant de mourir, il prit toutes ses mesures pour que sa grande fortune fût partagée selon ses désirs. La signature de son testament est ainsi racontée par la duchesse : « Il invita à dîner tous ceux qui devaient signer avec lui ; aussitôt après le repas, il demanda si le notaire était arrivé, se leva de table, alla chercher le testament dans son cabinet et, le tenant dans sa main, déclara que c’était bien sa dernière volonté, qu’il en était satisfait, puis signa chaque feuille en due forme. Ensuite on causa un peu. Lord Finch et le docteur Clarke partirent les premiers, et quand le général Lumley se leva pour le quitter assez longtemps après, le duc se leva aussi, l’embrassa et le remercia du service qu’il venait de lui rendre. »

Il parut peu de temps après pour la dernière fois à la chambre et, le 16 juin 1722, il succombait à une nouvelle attaque d’apoplexie. Pendant sept jours, il resta sans mouvement. Vers la fin, il retrouva un peu la parole, et lorsque la duchesse, dont la sollicitude l’avait entouré de soins jour et nuit, lui demanda s’il avait entendu les prières dites pour lui : « Oui, répondit-il, et je m’y suis joint. » Ce furent les derniers mots de cet homme vraiment grand, malgré ses défaillances. Il mourait à soixante-douze ans, usé bien avant le temps, par les fatigues immenses de son âge mûr ; il s’était sacrifié sciemment, année par année, aux intérêts de son pays (sa correspondance ne laisse aucun doute à ce sujet), rachetant ainsi les premières fautes de sa vie politique. L’envie et la calomnie se turent devant ce grand mort ; tout ce que l’Angleterre avait d’illustre, sans distinction de rang ni de parti, vint rendre hommage à son dernier sommeil et s’incliner devant lui à Marlborough-House. Tout ce que la magnificence peut imaginer fut employé pour ses funérailles ; la duchesse avait refusé l’offre du roi de s’en charger ; mais la plus touchante manifestation fut celle de la foule immense, profondément émue, au milieu de laquelle se pressaient, en colonnes serrées, ses anciens soldats, le visage inondé de larmes, pleurant non-seulement le glorieux capitaine, mais le chef paternel, bon, humain, accessible à tous, ménager de leur vie, celui qu’ils appelaient avec une vive affection leur vieux caporal. Pendant quelque temps, les restes de Marlborough reposèrent dans l’abbaye de Westminster ; puis la duchesse les fit transporter à Blenheim, où tous deux dorment aujourd’hui.

Comme « témoignages de sa grande tendresse, de son profond respect et de sa reconnaissance, » le duc laissait par testament à sa