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du même genre en Égypte, où elles avaient détruit la tyrannie et où elles un piaulaient, avec un gouvernement régulier, avec une bonne administration, une civilisation libérale et émancipatrice, lorsqu’une révolte militaire impossible à prévoir est venue remettre en question tout le bien qu’elles y avaient réalisé. En servant la cause de la liberté en Orient, elles y défendaient leurs propres intérêts ; elles veillaient sur l’Asie-Mineure, sur la Syrie, sur l’Égypte, sur toutes les provinces où il leur est nécessaire de maintenir leur influence. Si la régénération administrative qu’elles avaient tentée en Égypte avait réussi, qui sait ? l’exemple aurait peut-être exercé une action décisive sur la solution de la question d’Orient, et dans bien des parties de l’empire ottoman, l’action civilisatrice aurait rendu l’action militaire inutile. Cet espoir n’existe plus ; mais il était naturel de le concevoir.

Et ce n’était point seulement en Orient, après tout, que l’union de la France et de l’Angleterre était utile au triomphe ou, du moins, au maintien de la liberté. Non, sans doute, il n’y a pas de sainte-alliance, il n’y a pas de ligue des puissances du Nord contre les principes constitutionnels : est-on bien sûr cependant qu’il n’y ait pas, qu’il ne puisse pas y avoir, sinon pour les principes constitutionnels, au moins pour certaines libertés, des heures de crise menaçante ? N’a-t-on pas entendu parler quelquefois de lois internationales, de garanties cosmopolites dont la mise en pratique imposerait à toutes les nations européennes un régime qui ne serait pas absolument libéral ? Unie à l’Angleterre, la France a pu et pourrait encore refuser de prendre chez elle des mesures contraires aux principes de ses institutions ; seule, en sera-t-il de même ? L’Europe entière a des assemblées, le mécanisme des gouvernemens libéraux a été transporté partout ; cependant il n’y a que l’Angleterre, la France, et peut-être l’Italie, qui soient des nations tout à fait parlementaires, des nations où les chambres gouvernent, où le pays, qui nomme les chambres, possède réellement la souveraineté. On sait quelles théories l’Allemagne professe sur le gouvernement des chambres ; on sait ce qui se dit à Berlin sur l’union nécessaire de toutes les monarchies contre l’envahissement des assemblées. Je ne veux point insister ; mais, bien que nous soyons très loin de 1831, il ne me semble pas que l’accord des deux plus grandes nations libérales de l’Europe, marchant la main dans la main en Orient et en Occident, fût un fait aussi inopportun qu’on semble le croire, ni qu’il se fût maintenu longtemps sans exercer sur la politique générale une grande et féconde influence.