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durant les deux derniers siècles ? Il faut le dire à l’honneur de la restauration et du gouvernement de juillet : placés dans des circonstances à peu près semblables à celles où nous nous trouvons aujourd’hui, ils ont senti que la paix devait être leur seul but en Europe, et ils ont profité de cette paix pour s’emparer en Afrique d’une colonie qui, a bien des égards, vaut celles-que nous avons perdues en Amérique et en Asie, grâce à cette sage conduite, ils nous ont assuré sur la Méditerranée une situation exceptionnelle en même temps qu’ils lassaient s’user sur le continent les coalitions dirigées contre nous ; de sorte que l’empire, à son début, héritant des avantages de leur politique, a pu, avec le concours de l’Angleterre, donner le coup de grâce à la sainte-alliance dans cette campagne de Crimée qui avait rendu la France maîtresse de l’Europe et qui lui aurait valu d’immenses avantages si elle avait su poursuivre la politique à laquelle elle devait un premier succès aussi éclatant. C’est cet exemple que devrait suivre la république pour se montrer digne d’être regardée comme un grand gouvernement. En présence du mouvement général qui entraîne le monde, la France ne saurait demeurer stationnaire sans se préparer un avenir d’abaissement qui la réduirait au rôle des puissances secondaires de l’Europe. Au commencement du XXe siècle, la Russie comptera cent vingt millions d’habitans occupant en Europe et en Asie des espaces presque sans bornes ; près de soixante millions d’Allemands, appuyés sur trente millions d’Autrichiens, domineront le centre de l’Europe ; cent vingt millions. d’Anglo-Saxons, établis sur les plus belles parties de la terre, y répandront leur langue, leurs mœurs, leur civilisation. Est-il possible que la France seule renonce à ses glorieuses destinées ? Est-il possible qu’elle laisse à l’Italie, dont les ambitions juvéniles ont peine à se contenir, à l’Espagne, qui semble sur le point de retrouver son vieux génie colonial, le soin de représenter les races latines dans la grande lutte pour la conquête du globe ? Est-il possible qu’enfermée dans ses frontières diminuées, satisfaite de sa médiocre fortune, elle abdique toute pensée d’expansion, tout désir d’influence au dehors ?

Peut-être devrait-elle, en effet, prendre ce parti, s’il était vrai qu’elle n’eût aucune aptitude pour la colonisation. Mais son passé contredit cette affirmation téméraire. Un pays qui avait fait le Canada la Louisiane, Saint-Domingue, qui avait inventé le système d’administration et de gouvernement que les Anglais suivent encore aux Indes, est, quoi qu’on en dise, un pays colonisateur. L’Algérie conquise et organisée en un demi-siècle prouve que nous ne sommes pas inférieurs à nos pères, que nous pouvons les égaler et les surpasser. La France a plus que jamais des esprits entreprenans, des