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soit dans des pays où vivent des populations nombreuses, mais ignorantes de l’art militaire.

Ce n’est pas que, dans les luttes continentales de l’Europe, la marine n’ait son rôle : elle peut sur les côtes aider même à la grande guerre. Il y a souvent sur le littoral des positions stratégiques, des places fortes, des ports militaires ; leur investissement, leur capture, offre aux troupes que peut convoyer une escadre un objectif proportionné à leur importance, le moyen d’affaiblir considérablement l’ennemi, et la possession de gages qui servent à traiter plus avantageusement de la paix. Même sans troupes, même incapable de s’établir sur le rivage, même ne disposant pour les jeter à terre que de quelques hommes d’équipage, des navires isolés influent puissamment sur le sort d’une campagne, s’ils savent atteindre et couper les voies de communication. Les plus parfaites, les chemins de fer, sont aussi les plus faciles à mettre hors de service. Il suffit d’un paquet de cartouches pour faire sauter un rail ; que la voie soit rendue impraticable au moment d’une concentration importante, les trains s’amassent ; sans quais, les chevaux ni le matériel ne peuvent être débarqués et par suite les troupes ne peuvent continuer leur route ; tous les calculs sont trompés, il faut plusieurs jours pour rétablir la circulation et l’ordre, sans parler de ce qui, perdu, ne se retrouve pas, l’occasion. Il suffit de quelques kilogrammes de dynamite pour faire sauter un pont ou boucher un tunnel : la destruction d’un ouvrage d’art rend la voie inutile pour la durée de la guerre. Dans certains pays, l’on a pourvu à la sûreté des communications, et nulle part mieux qu’en Angleterre. Tout port de quelque importance est tête de ligne ; mais cette ligne, du rivage se dirige droit vers l’intérieur, et c’est à distance qu’elle va se confondre dans le réseau général des chemins. Grâce à cette disposition, nul point ne peut être occupé facilement et son occupation ne séparerait qu’un tronçon excentrique, sans porter le trouble dans l’ensemble des communications. Pour atteindre celles-ci, il faudrait occuper les lieux de croisemens, positions inaccessibles sinon par la conquête du pays : même sagesse dans le plan des chemins exécutés dans l’Inde. Sur toutes les côtes du nord de l’Europe, des précautions analogues font obstacle à toute entreprise tentée de la mer ; les lignes ferrées à Dantzig seulement touchent la côte ; les couper à cet endroit serait n’isoler qu’une extrémité de l’empire et ne porterait aucune atteinte aux mouvemens des hommes et du matériel sur les grandes voies d’invasion ou de retraite. Au contraire, sur la Méditerranée, les voies ferrées touchent le rivage ; leurs lignes sans défense bordent en maints endroits la frontière méridionale de la France. Leur rupture ne causerait pas un mal sans remède, parce qu’en arrière d’autres lignes suppléeraient ; mais