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Voilà ce qu’il était réservé au siècle présent d’accomplir, ce qu’ont préparé l’abaissement progressif des barrières de douanes, ce que l’Angleterre d’abord, puis la France et, après eux, tous les peuples, ont voulu en établissant la liberté des échanges. Ainsi a commercé la troisième période, celle où, après avoir élevé leurs frontières pour se constituer, les avoir fermées pour se défendre, les peuples les ouvrent pour déborder pacifiquement sur l’univers.

Plus ces échanges s’étendent, plus le nombre des hommes qui en vivent s’accroît, plus s’accroît par suite le nombre de ceux qui souffrent par l’arrêt des transactions. Ce qui commençait aux jours de l’empire est maintenant accompli et ajoute à l’ancien fléau de la guerre un fléau plus général et plus détesté ; elle ne répand plus seulement le sang de quelques-uns, mais la fortune de tous. Après avoir été pour les peuples barbares un butin, pour les peuples isolés un mal médiocre, elle est pour les peuples civilisés une ruine. Ce caractère domine tellement les autres que tous les efforts tentés en ce siècle pour la rendre moins désastreuse ont abouti à des mesures protectrices du commerce international. Or quelle est la grande voie du commerce ? La mer. Voilà pourquoi toutes ces mesures protectrices tendent à sauvegarder la navigation. Le concert européen a successivement limité les parages où pouvaient être capturés les navires en neutralisant les détroits, les moyens d’attaque, en prohibant la course, enfin les marchandises qui pouvaient être saisies en déclarant inviolable la cargaison sous pavillon neutre. Toutes ces réformes sont les conséquences de l’idée que la mer est neutre. C’est à cause de cela que le traité de 1855 refusait de reconnaître à aucune flotte aucune domination sur un point non matériellement occupé par elle et déclarait seuls obligatoires les blocus effectifs. C’est à cause de cela qu’il respectait les blocus mêmes. En effet, ces opérations, dirigées contre la terre ferme et la souveraineté qui la possède, accomplies dans les eaux territoriales qui appartiennent à la nation riveraine, se bornant aux pratiques suivies dans les sièges, ne sont que l’application stricte du droit de guerre, et le prétexte manquera pour les interdire tant que ce droit lui-même sera reconnu. Et cependant le jour où le blocus commence, — et les transformations accomplies dans la marine rendent les blocus effectifs plus faciles, — que reste-t-il des avantages si lentement conquis ? Le trafic n’est plus saisissable sur mer, qu’importe s’il ne peut ni entrer dans les ports ni en sortir ? Ce double mouvement est la respiration du commerce ; cesse-t-il, le commerce étouffe. Aucun pays n’a de ressources comparables à l’Angleterre, elle produit pour l’univers entier. Que ses frontières soient interdites, elle cesse d’emporter ce qui est inutile à sa consommation, elle cesse