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ses fonctions personnelles, il ne peut plus le transmettre par la génération à d’autres individus.

Sans doute il ne faut pas, ici encore, pousser à l’extrême les inductions biologiques qui précèdent et dont la vérité n’est que générale. M. Spencer n’a pas toujours lui-même gardé la mesure ni évité les interprétations inexactes des lois en question. Pratiquement et dans l’état actuel des choses, les races supérieures et les individus appartenant à ces races ne perdent leur puissance génératrice que s’ils se livrent à ce qu’on pourrait appeler la débauche intellectuelle. Mais il est rare que la stérilité vienne de cette cause. L’homme a presque toujours assez de vigueur, même quand il se livre aux travaux de l’esprit, pour engendrer au moins un enfant par an, et il ne lui servirait à rien de pouvoir en engendrer trois cent soixante-cinq, puisque la femme a besoin de neuf mois pour nourrir dans son sein l’enfant qu’elle a conçu ;[1]. C’est donc surtout la femme qu’il faut considérer dans cette question. M. Spencer fait remarquer, à l’appui de sa thèse, que dans les classes élevées, où le travail mental est poussé à l’excès, les filles sont relativement infécondes: mais ici encore il y aurait bien des élémens à distinguer. Les Parisiennes, par exemple, ont un cerveau qui, selon les anthropologistes, les élève assez peu au-dessus des négresses : elles devraient donc être très fécondes, comme les négresses mêmes ; c’est le contraire qui a lieu. La vraie raison en est que, si le cerveau d’une Parisienne est en définitive peu surchargé d’idées, son corps tout entier est encore moins développé que son cerveau, ce qui n’a pas lieu chez la négresse aux membres robustes. Et pourquoi le corps de la Parisienne est-il arrêté dans son développement? Accusons-en non l’intelligence, mais l’inintelligence, les mœurs et la mode, les mauvaises conditions d’hygiène, les soirées, les veilles, les bals, les théâtres, l’activité à la fois fiévreuse et frivole d’une vie toute mondaine dans un air plus ou moins vicié. De même, si les filles des familles aristocratiques sont moins fécondes, rien ne prouve que cette infécondité tienne à leur travail mental. Enfin, là où le travail mental est réellement cause d’une diminution de fécondité, c’est par ses excès et non par son usage bien réglé. Il en est de même de tout excès de travail, même physique; on s’épuise comme ouvrier, comme laboureur, aussi bien que comme penseur. M. Spencer n’a pas assez distingué, ici encore, entre l’exercice normal et l’exercice exagéré du cerveau. Un exercice normal, où la dépense fonctionnelle

  1. La polygamie même ne changerait rien au résultat puisque, le nombre des femmes étant à peu près le même que celui des hommes, le Salomon qui aurait trois cent soixante-cinq femmes en priverait par cela même trois cent soixante quatre hommes ou à peu près.