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tolérée ; elle n’a cessé de répéter que ce mouvement arabiste, qui procède du fanatisme religieux bien plus que d’un sentiment national et qui faisait de l’Égypte un foyer de propagande islamique, pourrait être un danger permanent pour nos possessions du nord de l’Afrique. Eh bien ! c’est cette situation que nous avons proclamée intolérable ; c’est cette agitation islamique que nous avons signalée comme un danger, c’est tout cela que l’Angleterre combat, — et parce que c’est l’Angleterre qui accomplit une œuvre que nous aurions pu accomplir avec elle, à laquelle nous avons voulu rester étrangers, au moins par l’action, serait-ce une raison pour chercher à raviver d’inopportunes et puériles jalousies nationales ? L’Angleterre fait ses affaires sans doute ; il n’y a qu’à l’imiter, et la pire des politiques serait, après nous être dérobés à un rôle actif, de ne pas même nous réserver l’avantage d’une neutralité bienveillante et sympathique pour le règlement définitif de la question égyptienne devant l’Europe.

En tout pays les ministères ont leur destin. Ils ne font pas toujours ce qu’ils avaient promis, et ils sont souvent obligés de faire ce qu’ils avaient combattu ; ils proposent et la force des choses dispose pour eux. Le cabinet libéral, qui gouverne depuis plus de deux ans l’Angleterre et qui vient d’avoir une session particulièrement laborieuse, toute pleine d’incidens, d’interpellations, de dramatiques débats, de résolutions graves, le cabinet Gladstone aura eu, plus que tout autre, cette fortune singulière de ne pas faire tout ce qu’il voulait et de faire bien des choses auxquelles il n’avait pas songé.

Lorsqu’il arrivait au pouvoir, au printemps de 1880, après une campagne électorale conduite avec une entraînante vigueur et un succès imprévu par M. Gladstone, il se proposait surtout de réagir contre la politique entreprenante et aventureuse de lord Beaconsfield. Le vieux chef des libéraux anglais, retrouvant pour la lutte toute la verdeur de la jeunesse, avait réussi à reconquérir l’opinion déjà un peu refroidie pour les expéditions lointaines, pour toutes les entreprises guerrières du dernier cabinet, et il avait vaincu le brillant chef du torysme, qui se croyait suffisamment popularisé et protégé par ses succès au congrès de Berlin, par l’annexion de Chypre. Presque tout ce qu’avait entrepris lord Beaconsfield, M. Gladstone l’avait ardemment combattu » et, de fait, à son arrivée au pouvoir, le chef du nouveau cabinet, qui avait contribué autrefois à rendre les îles Ioniennes à la Grèce, montrait peu de chaleur pour l’acquisition de Chypre. Il mettait aussitôt tous ses soins à dégager l’Angleterre des complications de la guerre de l’Afghanistan. Il chargeait sir Garnet Wolseley d’aller en finir avec cette guerre du Cap qui avait donné plus d’ennui que de gloire ou de profit, et dans ces dernières semaines, on s’occupait encore de rendre sa couronne à ce petit roi du Zoulouland, à Cettiwayo, qui a paru un