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après avoir promis de pacifier l’île sœur par son libéralisme. Heureusement, en Angleterre, dans ces circonstances où il s’agit des intérêts supérieurs, de la défense du pays, non d’une rigoureuse logique, un ministère trouve facilement un appui, même parmi sas adversaires. Pour la campagne d’Égypte, comme pour les affaires d’Irlande, les conservateurs, dans la session qui vient de finir, se sont abstenus de créer trop de difficultés à M. Gladstone. Jusqu’à quel point cependant le cabinet est-il certain de garder, dans la session qui doit se rouvrir à la fin d’octobre, l’ascendant qu’il a gardé jusqu’à ces derniers temps, qu’il a encore ? C’est une question de savoir si le ministère Gladstone sortira définitivement victorieux de ces épreuves, si les conservateurs ne profiteront pas un jour ou l’autre, peut-être d’ici à peu, de cette série d’incidens, qui, selon le mot de sir Stafford Northcote, semblent justifier leur politique.

À coup sûr, l’opinion a de ces retours, le régime parlementaire a de ces péripéties, toujours possibles dans un pays aussi complètement libre que l’Angleterre. Ce n’est pas comme en Allemagne où, quoi qu’il arrive, quel que soit le résultat des élections qui se préparent, le chef tout-puissant de la politique, M. de Bismarck, ne se sent ni ébranlé dans sa position invariablement prépondérante, ni disposé à se laisser entraîner au-delà de ce qu’il veut. Il est certain que le régime parlementaire tel qu’il existe à Berlin est d’une nature toute particulière ; il est organisé de telle façon que le dernier mot reste toujours au chancelier, placé en dehors ou au-dessus des fluctuations des partis.

M. de Bismarck n’est pas ce qu’on peut appeler un personnage parlementaire ; il tient ses pouvoirs non des assemblées, mais de l’empereur et des événemens d’où est sorti l’empire allemand lui-même. Il a sa manière assurément originale d’entendre et de pratiquer le régime constitutionnel. Il veut bien avoir ses chambres, et, au besoin, il ne dédaigne pas de paraître devant elles quand il le juge à propos, quand il croit nécessaire de prononcer quelque discours qui va aussitôt retentir dans le monde ; il ne dépend pas d’un vote, il ne va pas chercher les directions d’un parlement. Le plus souvent, il gouverne du fond de sa solitude de Varzin ou de ses terres du Lauenbourg, tenant dans ses mains tous les fils de la politique européenne, poursuivant avec opiniâtreté la réalisation de ses vues pour l’organisation ou l’affermissement de l’empire. Ses collègues du ministère comptent à peine et peuvent se succéder selon les circonstances ; les partis qui s’agitent dans une chambre ne sont pour lui que des instrumens dont il prétend se servir tour à tour en les tenant également en respect. Il a sans doute ses préférences, qu’il manifeste dans l’occasion, qui varient d’ailleurs avec les intérêts de sa politique. Pendant un certain temps, il s’est servi des nationaux-libéraux pour la guerre religieuse qu’il avait entreprise.