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la monarchie ou sur la république, peut travailler utilement, dignement... Ah! sans doute, lorsque nous aurons rendu à notre pays les services pressans que je viens d’énumérer, quand nous aurons relevé du sol où il gît le noble blessé qu’on appelle la France, quand nous aurons fermé ses plaies et ranimé ses forces, nous le rendrons à lui-même, et, rétabli alors, recouvrant la liberté de ses esprits, il verra comment il veut vivre... » Et quelques jours après, entre la signature des préliminaires de la paix et l’explosion insurrectionnelle du 18 mars, à propos de la translation du gouvernement et de l’assemblée à Versailles, M. Thiers, reprenant ces idées, se plaisait à les développer avec un art profond et fin. Il s’efforçait de persuader à l’assemblée, — plus peut-être que l’assemblée elle-même ne le croyait, — qu’elle avait montré dès le premier jour toute sa sagesse en comprenant la nécessité de s’attacher à réorganiser le pays avant de songer à le constituer : « Vous vous êtes dit, ajoutait-il, qu’il n’était pas urgent de constituer et qu’il était urgent de réorganiser. Vous vous êtes dit quelque chose de beaucoup plus élevé et plus vrai encore, s’il est possible ; vous vous êtes dit que, si vous vouliez exercer le pouvoir constituant que vous avez, vous vous diviseriez à l’instant même, que si, au contraire, vous ne vouliez que réorganiser, vous seriez tous d’accord. Pour réorganiser, vous n’avez rien à faire qui vous divise. Pour veiller à l’évacuation du pays, pour rétablir les services financiers, pour composer une administration, pour recomposer une armée et rendre au travail tous les hommes qui en ont été arrachés, pour cette œuvre pressante, indispensable ; pour que la vie renaisse dans notre pays, il ne faut pas faire la moindre chose qui vous désunisse, pas la moindre... Vous êtes divisés et cependant vous êtes unis en honnêtes gens, en bons citoyens, dans cette pensée commune de réorganiser le pays et de différer le jour où on le constituera. »

En d’autres termes, dans la pensée de M. Thiers, tout se coordonnait, tout devait avoir sa place et son heure, — la réorganisation d’abord, puis le choix d’un régime, la constitution d’un gouvernement définitif. Pour le moment, la réorganisation primait tout, sous quelque forme qu’elle s’accomplit, et à cette œuvre les partis devaient sacrifier leurs passions, leurs vœux, leurs espérances on leurs ressentimens. C’est ce qui s’est appelé le « pacte de Bordeaux, » pacte de raison, de nécessité et de patriotisme, qui naissait de toute une situation, qui résumait la seule politique possible dans la confusion de ces jours de détresse.

Cette « réorganisation, » que M. Thiers mettait au-dessus de tout, dont il faisait le premier objet de ses efforts, qui, en définitive, est devenue et est restée l’œuvre féconde de deux années de gouvernement, cette « réorganisation» avait certes de quoi effrayer