Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/571

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qu’il en montre, les traits et le profil du visage, le cou, la partie inférieure des bras et des jambes, il le traite d’après les exemples et la pratique de son devancier, l’artiste chaldéen. Il n’y a pas dans toute la sculpture assyrienne un morceau étudié sur la nature même, comme l’est, avec l’épaule et la main, le dos des statues de Goudéa. Le statuaire chaldéen avait le goût d’un modelé très ressenti ; l’Assyrien abonde trop dans ce sens, et il arrive ainsi à l’exagération et à la pure convention ; il donne à ses figures des genoux noueux, des rotules qui ressortent en bosse, des muscles tendus et saillans qui ressemblent plus à de grosses cordes qu’à de la chair vivante. Comme il arrive souvent, le maître est ici trahi par l’élève, qui le comprend mal et qui tourne en défauts toutes ses qualités.

On voit maintenant tout ce qu’apprennent à l’historien les fouilles de Chaldée et la collection que le Louvre doit à M. de Sarzec. Ces découvertes, par leur importance et par le jour qu’elles ont jeté sur les origines d’une grande civilisation, peuvent presque se comparer à celles de Lepsius et de Mariette, aux recherches méthodiques et aux trouvailles heureuses qui nous ont révélé l’Egypte de l’ancien empire. Grâce à ces monumens, l’art assyrien cesse d’être pour nous un problème incompréhensible. Comme l’art égyptien des dynasties thébaines, auquel il ressemble à bien des égards, il a été précédé par un art réaliste ou naturaliste, comme on voudra l’appeler, par un art naïf et curieux, qui a pieusement étudié la forme vivante et qui a créé ainsi l’un des styles originaux de l’antiquité, celui où la Grèce, à ses débuts, a peut-être trouvé les leçons les plus utiles et les suggestions les plus fécondes.

Il y a quarante ans, Botta, consul de France à Mosoul, découvrait l’art assyrien ; nous sommes heureux que ce soit encore un Français, M. de Sarzec, notre consul à Bassorah, qui ait commencé de dégager des ombres profondes où il se dérobait à nos prises l’art de la Chaldée, très supérieur à celui de Ninive et beaucoup plus ancien. M. de Sarzec a ainsi retrouvé comme la préface et l’introduction du livre dont nous ne possédions que les derniers chapitres. Depuis une douzaine d’années, la gloire de l’action politique et militaire paraît nous être refusée ; les petits hommes et les petites choses prennent de plus en plus de place dans la vie et les préoccupations du pays ; les grandes espérances conçues ne se réalisent pas ; ceux dont nous attendions beaucoup échouent et avortent l’un après l’autre. Nous serions vraiment trop à plaindre si rien ne nous dédommageait du spectacle de cette impuissance et de cette stérilité ; il nous reste une consolation dernière, celle de pouvoir nous dire que, dans l’ordre de la recherche scientifique et des travaux de l’esprit, la France tient encore son rang.


GEORGE PERROT.