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dans une de ces larges ouvertures toutes pareilles et qui servent à volonté d’échoppes, d’ateliers, de magasins, d’études et d’écoles. La tête soigneusement enturbannée, la barbe grisonnante, l’air réfléchi, les tiges de ses lunettes enfoncées dans son turban, l’homme de loi couvre patiemment de caractères arabes ses longues feuilles de papier étroit. Aucun meuble d’aucune sorte, sauf un petit coffre reposant, comme le notaire lui-même, sur la natte jaune qui sert de tapis. Ces notables sont très nombreux; on en trouve dans toute la ville et jusque dans les faubourgs, qui attendent, immobiles, les cliens, comme l’araignée au fond de sa toile. C’est le bey qui nomme les notaires sur la proposition des membres du chara (tribunal religieux) ou d’autres fonctionnaires importans. A Tunis, on les choisit de préférence parmi les anciens élèves de la grande mosquée, gens instruits à qui on a fait commenter pendant des années le Coran et Aristote. Leur nombre est fixe; ils ne donnent aucune garantie que celle d’une bonne réputation acquise. En province, ils obtiennent leur brevet sur la proposition des cadis; à Béja, pour quatre à cinq mille habitans, il y a une quarantaine de notaires; là ils vivent de peu, ne travaillent pas beaucoup, et quand ils le font, prennent cher, ce qui leur fait une existence agréable et enviée. Beaucoup, au lieu d’offrir leurs services à la foule, se font attacher aux grands établissemens publics comme la Monnaie, le Dar-el-Geld, etc. Quelques-uns enfin gagnent leur vie à fabriquer de faux documens, et il y a des personnes qui prétendent qu’ils ne manquent pas d’ouvrage.

En montant toujours, écartant des coudes comme on peut la foule compacte, se serrant aux murs pour laisser passer les chameaux encombrans qui s’avancent à pas lents d’un air songeur et les ânes chargés d’outrés d’huile gluante, achetant de ci de là à l’étalage ou aux enchères les amusans produits de l’industrie tunisienne, on finit par sortir des voûtes et par se trouver au grand soleil sur la place du Dar-el-Bey et de la Casbah, qui couronne la hauteur. La façade de la Casbah a été refaite par Khereddine il y a sept ans, et on la croirait neuve; on enjambe la colonne renversée qui marque le seuil et on s’aperçoit qu’on est dans une ruine ; à travers plusieurs étages de voûtes crevées, on voit le ciel; des escaliers croulans vous mènent jusqu’au pied du mât de pavillon et, dans toute cette immense enceinte, on ne voit à hauteurs diverses que des murs qui tombent, des arcades qui ne supportent plus rien, des monceaux de pierres. Il est difficile de rien voir qui ressemble davantage à Pompéi. Des haies de cactus ont poussé là en liberté et des sentiers ont été tracés au milieu de leurs touffes. De vieux canons sont alignés sur le rempart, mais tournés à rebours, par un oubli étrange, la culasse du côté des meurtrières.