Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/639

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instruisent (et nourrissent en partie) huit cents élèves; une portion des frais est, il est vrai, couverte par l’alliance israélite de Paris. Au moment de notre entrée en campagne, le nombre des élèves s’est accru presque subitement de deux cent cinquante. Les tout jeunes enfans apprennent seulement l’hébreu; réunis par centaines dans une grande salle, ils sont d’un aspect très pittoresque : d’un côté, on voit des rabbins leur montrant les caractères de la Bible; ailleurs un barbier qui coupe ras leurs cheveux embrouillés; il y a même une femme qui débarbouille les plus jeunes. Dès qu’ils commencent à grandir, on les met au français. J’ai pu constater qu’à sept ou huit ans, sans savoir encore faire de phrases, ils connaissent déjà une foule de mots; ceux de dix ans répondent couramment aux questions de géographie et d’arithmétique que le visiteur leur pose. Ce n’est pas sans surprise qu’on voit ceux de la plus haute classe, c’est-à-dire des enfans du pays, qui depuis quatre ans seulement viennent à ce collège gratuit, résoudre couramment au tableau et en français des problèmes comme celui-ci : « Une sphère vide pèse 325 grammes; pleine de mercure, elle pèse 453 kilogrammes. Trouver le rayon. » L’enfant sait la densité du mercure, et un de ses camarades, désigné au hasard par l’étranger, vient continuer la démonstration du problème à demi exposé. On ne saurait trop admirer dans ce collège l’intelligence des élèves et la capacité et le dévoûment des maîtres.

Quoiqu’elles sortent davantage, les juives ne sont guère plus instruites que les musulmanes. Une centaine de jeunes filles suivent les cours d’un collège protestant que la société biblique de Londres a fondé et où il ne se trouve guère que des Israélites. Pas une n’adopte la foi anglaise, et elles ne retiennent d’ailleurs pas grand’chose du médiocre enseignement qui leur est donné. Le reste ne sait rien et n’a pas d’écoles.

Dans ce milieu aussi, comme dans le milieu musulman, les fêtes religieuses ont une grande importance; les fêtes de famille de même, mais l’étranger peut s’en rendre un compte fort exact, car il y est volontiers admis.

Un jour de pluie et de boue terribles, nous nous trouvons invités à un mariage. Sur le trottoir, devant la maison, on a étendu une couche de sable fin, jaune clair, pour cacher la fange visqueuse, mais le sol est détrempé et chaque arrivant y laisse des traces profondes. L’escalier est étroit et monte tout droit jusqu’au premier étage, entre deux murs blancs; sur les marches, l’hôte vient recevoir ses invités; très vieux et très cassé, il a une belle tête, avec une barbe en pointe et une figure mince. Il porte une longue robe noire, des bas blancs et des babouches vernies, un turban noir et un bonnet noir, selon l’antique règlement tunisien. Les appartemens