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pièces ainsi ramassées ont un accent de vérité. Rien qui ressemble à ces élégies lamartiniennes qu’on nous donne sous costume d’ouvrier, beaucoup de franchise et d’honnêteté, mais aussi de la violence, quelque chose comme un écho du romantisme du moyen âge qui se répercute dans ces lieux voisins de l’Alsace et de l’Allemagne, jadis couverts de monastères et partout encore semés de croix. Tantôt c’est la complainte d’une pauvre enfant morte avant le temps et qui laconiquement dialogue avec sa mère de dessous la pierre du tombeau, tantôt c’est le récit non moins lugubre d’un infanticide commis par une malheureuse fille de la campagne. Le catholicisme, avec ses données populaires, reparaît dans ce dernier petit drame : invention terrible et presque sublime. L’enfant, à peine au monde, se met à parler miraculeusement pour sauver sa mère. La mère doute de sa parole et l’enfant la certifie au nom de Jésus, de Marie et des saints anges, parrains et marraines des nouveau-nés qui n’ont pas reçu le baptême. La femme, sans tenir compte des avertissemens, noie le petit être, et l’enfant, avant de s’engloutir, prédit la damnation de sa mère. Le refrain, qui semble étranger à la ballade, y tient par le fond et l’encadre même avec un art très connu des rimeurs du vieux temps : « Trois garçons s’en vont moissonner, trois filles aussi pour javeler, » et que Victor Hugo a maintes fois reproduit dans ses ballades :


Enfans, voici les bœufs qui passent,
Cachez vos rouges tabliers, etc.


Arrivé à ce chapitre de la prose, j’ai pris plaisir à tout examiner, même l’inédit. Barbier écrivait constamment; il fut jusqu’à la fin l’homme du nulla dics sine linea. Rédigeant, compulsant et verbalisant, il prenait minutieusement note et notice de ce qui se rapportait à sa personne et de ce qui regardait ses amis. Dans les nombreux papiers qu’il a laissés figure, sous le titre de Varia, un recueil de curiosités de toute sorte : pensées sur les lettres et le monde, idées de compositions, souvenirs de voyages, où je retrouve comme en des Mémoires l’honnête bourgeois de Paris que nous avons connu. Singulière prédestination des noms ! On songe involontairement au journal de l’autre Barbier, celui du XVIIIe siècle. Un fragment sur les journées de juillet semble à mes yeux le meilleur spécimen qui se puisse donner de cette manière -’instruire et de documenter un procès historique. « Au moment que la révolution de juillet éclata, je n’étais pas à Paris ; je me trouvais depuis un mois dans ma propriété, située à douze lieues de la capitale, dans le département de Seine-et-Marne. Aussitôt que la nouvelle de l’insurrection me parvint