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pas à donner celui-ci comme une page intéressante à joindre à ces mémoires de la période que nous étudions :

« Je m’honorerai toujours d’avoir eu pour camarade et ami cet excellent poète en la compagnie duquel se sont écoulées mes meilleures années, celles de ma verve poétique et de ma jeunesse.

« C’est dans l’atelier du peintre Ziégler, en 1828, que je fis sa connaissance, et depuis ce jour jusqu’à sa mort, arrivée en 1863, il n’y a pas eu ombre de désaffection entre nous. Brizeux, né à Lorient en 1803, était d’origine irlandaise ; ses aïeux vinrent s’établir en Bretagne à la suite de Jacques II et changèrent leur nom de Morgan en celui de Brizeux, qui veut dire Breton ; avec sa taille élancée, son teint frais et ses cheveux blonds, il avait l’air d’un jeune Anglais. Il fit ses premières études dans le voisinage de Quimper, chez le curé d’Azenas. C’est là qu’il connut la jeune enfant qu’il immortalisa sous le nom de Marie. Elle s’appelait Marianne Pelann (Marie Fleur de blé mûr) ; rien n’était plus charmant que ces deux enfans, toujours ensemble, courant dans les bois et allant à l’école. Marie, devenue grande, épousa un jeune fermier du canton, et Brizeux, ses études terminées au collège d’Arras, vint à Paris faire son droit. Il travailla quelque temps chez un avoué, et c’est dans un bureau de chicane que la muse, sous forme des souvenirs du pays, vint le trouver. Il fréquentait de temps à autre des ateliers de peintres, ceux des Johannot et des Devéria principalement, il se lia aussi avec quelques littérateurs, MM. Rolle et Busoni ; c’est en compagnie de ce dernier qu’il écrivit pour le Théâtre-Français un à-propos en vers : la Fête de Racine, et une espèce de roman en deux volumes intitulé : Mémoires de Mlle de La Vallière ; malgré les distractions de la grande ville et au milieu de ses travaux et de ses études, le pays apparaissait toujours à ses yeux, et, la jeune Bretonne s’identifiant en lui avec l’amour du pays, il produisait les ravissantes idylles qui ont composé le livre de Marie. Ce volume parut sans nom d’auteur et avec le titre de roman. L’auteur, plus tard, en dévoilant sa paternité, l’appela poème. La première dénomination était peut-être la plus vraie, car ce petit livre était un roman de cœur qui, bien que raconté en vers, n’en avait pas moins pour fondement des sentimens très réels. L’ouvrage eut un grand succès et révéla à la France un nouveau poète, un Théocrite vrai et sans convention. En 1830, Brizeux, libéral et de l’école du Globe, prit le fusil ; en 1831, sa grand’mère lui ayant fait un cadeau d’argent, il partit pour l’Italie. Je l’y accompagnai ; nous y demeurâmes huit à dix mois. Brizeux, revenu avant moi en France, se livra tout entier à la littérature, il fit des articles de critique dans