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de croître. Ici apparaît bien l’ingratitude de la tâche qui incombe aux états maritimes : leur œuvre de chaque jour s’évanouit avec le jour qui en est témoin, et l’effort accompli sans relâche reste à recommencer sans fin. Mais plus leurs difficultés s’accumulent, moins il convient de se plaindre ; ils ne sont victimes que des victoires gagnées par le génie humain, et l’on mesure sa marche en comparant ce qu’est aujourd’hui la navigation à vapeur et ce qu’elle était naguère. Quand, il y a près d’un siècle, un Français, de Jouffroy, fit naviguer sur la Saône à Lyon le premier bateau à vapeur, il lui imprima une vitesse de 3 nœuds. En Angleterre, l’exemple fut suivi plus tard, avec une confiance moins grande et un succès inférieur encore. Un particulier, pour obtenir que le gouvernement appliquât le nouveau moteur au vaisseau le Kent, avait dû signer le 30 juin 1794, l’engagement de payer 9,000 liv. sterling d’indemnité au cas d’insuccès, et l’un des lords de l’amirauté exprimait en ces termes la pensée de tous : « Je ne vois point de raisons pour modifier l’opinion que j’ai déjà exprimée, à savoir que le moyen que vous avez imaginé pour faire mouvoir les vaisseaux indépendamment du vent et de la marée ne justifie pas les grandes espérances que Votre Seigneurie paraît en avoir conçues. » Il fallut l’audace du Nouveau-Monde pour adopter ce que refusait le monde ancien, et quand après cinquante années, l’Europe recevait des mains de l’Amérique cette invention qu’elle n’avait pas voulu reconnaître après l’avoir conçue, les navires filaient à peine 7 nœuds. Mais depuis cette époque, quel progrès ! La régularité et la promptitude des communications ont une telle importance pour les affaires, et sont devenues un besoin si impérieux pour la vie moderne, que de nation à nation, de compagnie à compagnie, se poursuit une lutte de vitesse, et les plus grandes voies commerciales du monde, d’Angleterre aux États-Unis et d’Angleterre dans l’extrême Orient, sont devenues comme une gigantesque mesure sur laquelle les divers navires éprouvent la rapidité croissante de leur navigation. Or sur ces deux routes les derniers progrès accomplis par la marine à vapeur viennent d’être constatés avec éclat.

Le paquebot le plus récemment construit par la compagnie Cunard pour la traversée de l’Atlantique a accompli en sept jours avec une vitesse moyenne de 18 nœuds la navigation entre New-York et Liverpool. En même temps, arrivait de Chine en Angleterre le premier navire apportant le thé nouveau. Chaque année, on le sait, les compagnies se disputent l’honneur de débarquer sur les quais de Londres la primeur de la récolte, et dans un pays qui a fait du thé son breuvage national et qui trouve dans tous ses goûts matière à paris et prétexte à courses, c’est une préoccupation publique de savoir quel sera le vainqueur de l’Ocean tea race. Or, cette année.