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pays agricole, » s’écrie triomphalement l’orateur. Son principal argument est celui-ci : « Dans ces dernières vingt années, la valeur des produits du sol s’est accrue de 236 pour 100, tandis que l’industrie n’a gagné que 20 pour 100. » Si ces chiffres étaient exacts, ce dont nous ne sommes nullement convaincu, ils ne pourraient que confirmer une fois de plus ce fait bien connu que le prix des denrées alimentaires s’est fortement élevé et que le prix des objets manufacturés a baissé. En effet, les tableaux des douanes de l’Autriche-Hongrie ne témoignent pas en faveur d’une exportation régulièrement croissante ; ici aussi nous constatons de fâcheuses alternatives, et nous pouvons nous demander si une industrie prétendue si faible serait en état de combler par ses excédens les déficits des mauvaises récoltes. Du reste, ni l’Autriche, ni la Hongrie ne se consolent de l’infériorité relative de leur industrie et font l’une et l’autre de grands efforts pour se mettre au niveau des pays plus avancés.

La Russie ne déploie pas moins d’activité dans ce sens, elle apprécie parfaitement les avantages d’une industrie florissante. En attendant, la culture du froment y supplice en partie ; cette céréale est presque entièrement produite pour l’exportation ; le peuple se contente de grains inférieurs ; dans une partie étendue de la Russie, ni le sol, ni le climat ne sont propices au froment. Ces vastes et généralement peu fertiles territoires causent bien des préoccupations au gouvernement russe, qui s’évertue à trouver, pour les populations qui les habitent, des industries domestiques susceptibles de leur fournir des ressources, dans les années où les récoltes viennent à manquer. Ce pays-là non plus ne jouit pas encore d’un équilibre économique bien stable.

Revenons à la France. Nous avons à nous justifier d’avoir parlé du « flot montant de la population, » car pour les 766,000 âmes que nous avons gagnées en cinq ans, — d’un recensement à l’autre, — l’expression paraîtra trop ambitieuse. Tout dépend du point de vue auquel on se place. Au nôtre, nous voyons moins ce total de 766,000 que le chiffre de 562,000, qui indique le montant de l’accroissement des villes ou plutôt des quarante-sept villes les plus importantes seulement. Ce résultat nous montre que la population rurale, loin d’avoir proportionnellement augmenté dans la période quinquennale que nous venons de traverser, a plutôt diminué ; un fait qui, à notre point de vue, ne trouve pas sa compensation complète dans l’accroissement des villes. Dans le corps social aussi, la beauté dépend de la justesse des proportions, de la symétrie des membres, et ce n’est pas un symptôme de santé quand l’un d’eux grossit au préjudice de l’autre. Sans doute, il n’y a pas de règle absolue pour les rapports numériques qui doivent régner entre les