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les autres, abandonnant cette réserve, ne posent aucune limite à la division internationale du travail. Chaque contrée produira ce qu’elle pourra et, de préférence, les objets qu’elle établit aux conditions les plus avantageuses ; de cette façon, les échanges seront aisés, car ils seront profitables aux uns comme aux autres. Plaçons-nous pour un moment à ce point de vue et disons : Peu importe où le blé a poussé, où les bestiaux ont été élevés, engraissés ; l’essentiel pour un pays est de pouvoir les acheter par ses propres produits, qu’ils consistent en houille, en fer, en soie, laine, coton ou en objets d’art. Et c’est précisément parce qu’on a généralement eu le moyen de payer les subsistances importées qu’on s’est si peu inquiété de la nécessité de leur importation.

Voici cependant une clameur qui s’élève, et c’est de l’Angleterre qu’elle part : « Notre exportation diminue, bientôt nous ne pourrons plus payer les matières alimentaires dont nous avons besoin ! » Ce cri d’alarme a ému les Anglais ; les faits ont été étudiés de près et l’on s’est rassuré en voyant qu’il y avait eu de l’exagération ; l’optimisme patriotique s’en est mêlé et certains publicistes ont déclaré que c’était une fausse alerte, de la fumée sans feu. Comme toujours, c’est entre les extrêmes qu’il faut chercher la vérité ; elle est assez sérieuse, et le danger dont on a relevé les symptômes assez graves pour qu’il y ait intérêt à entrer plus avant dans la question.

On sait dans quel sens on parle aujourd’hui de la balance du commerce ; cette expression, dont la signification était autrefois si vaste n’est plus pour nous que l’équilibre entre les importations et les exportations. Il est évident que cet équilibre doit nécessairement exister, puisque personne ne donne ses marchandises pour rien ; seulement, si l’on conçoit qu’un particulier paie avec du numéraire, dans les rapports de nation à nation, on veut que les produits s’échangent contre des produits. C’est sur cette base seulement, croit-un, que les relations internationales peuvent s’établir d’une manière durable et même fructueuse. Nous ne voyons pas trop comment on pourrait attaquer cette règle, que J.-B. Say a été le premier à formuler. Mais si nous avons tous l’intime conviction qu’elle est vraie, il est difficile, sinon impossible, d’en faire la preuve. Les chiffres relevés par les douanes des différens pays semblent à chaque instant contredire la théorie. Tantôt c’est l’importation, tantôt l’exportation qui présente un excédent. Quand la valeur des sorties l’emporte, on dit que la balance nous est favorable ; c’est une réminiscence des temps passés, où l’or et l’argent étaient seuls considérés comme des « richesses ; » on croyait alors que, nos produits ayant dans leur ensemble une valeur supérieure aux marchandises que nous avions reçues en échange, l’étranger avait dû parfaire la