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5 personnes à la fois. Cette population comprend deux élémens, l’élément sédentaire et l’élément nomade, ce dernier domine surtout dans les grands centres comme Mulhouse, où la perspective de salaires élevés attire les déclassés de tous les pays. Cet afflux d’étrangers, quoique favorable au travail, exerce cependant un fâcheux effet sur la moralité générale, ainsi que le prouve l’accroissement des naissances illégitimes sur les points où il se manifeste. Les grands centres de population et les ateliers où les sexes sont mélangés offrent pour les femmes plus d’occasion de chute que les groupes épars et les ateliers de famille. Au point de vue sanitaire cependant, le séjour de l’atelier est moins nuisible qu’on ne se l’imagine. Les perfectionnemens qu’on a introduits dans l’outillage et l’installation des usines eu ont écarté aujourd’hui presque toutes les causes d’insalubrité, et l’on ne constate pas que la mortalité y soit plus grande qu’ailleurs.

Moins flottante que dans les villes, la population des vallées se distingue par des mœurs plus fermes. Beaucoup d’ouvriers, déjà propriétaires d’une maison ou d’un champ, s’efforcent d’accroître leur capital par leurs économies, s’attachent à l’établissement dans lequel ils travaillent et se montrent peu accessibles aux excitations du dehors. Honnêtes, laborieux et paisibles, ils ont des aptitudes industrielles et des qualités morales qu’on rencontre rarement au même degré dans d’autres régions.

En Alsace, comme ailleurs, la prospérité industrielle a été accompagnée d’un développement du paupérisme, mais, ainsi que le fait remarquer avec juste raison M. Grad, ce n’est pas l’industrie qui est la cause première de la misère ; elle ne fait que la mettre en lumière. Dès qu’une fabrique s’ouvre, tous les malheureux disséminés dans les campagnes s’y précipitent, espérant y trouver l’aubaine d’un plus fort salaire. Le mal inaperçu jusqu’alors saute aux yeux, bien que la fabrique en soit elle-même innocente. Mais précisément parce qu’on le voit, il devient plus facile à guérir. La plupart des institutions créées pour le combattre sont dues au patronage des chefs d’industrie et non à l’initiative des ouvriers. Ceux-ci, comme les enfans, sont peu disposés a la prévoyance, ils ne voient d’amélioration possible à leur sort que dans l’augmentation des salaires, et ce n’est jamais en vue de l’épargne qu’ils la demandent. Ils n’ont pas l’esprit assez cultivé pour songer au lendemain, pour se mettre en mesure de parer aux besoins de là vieillesse, pour se précautionner contre les chômages de la maladie et pour comprendre la puissance des petites économies accumulées jour par jour. Ces diverses institutions comprennent d’abord les salles d’asile et les écoles où les enfans pauvres sont admis gratuitement ; puis les cours d’adultes, les cercles et les