Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avenir pour elle les conséquences économiques de l’annexion. M. Grad n’a pu traiter cette question que d’une manière indirecte, mais son livre fournit à cet égard les élémens suffisans pour qu’on puisse se faire une opinion propre.

Au moment de la guerre de 1870, l’Alsace était en pleine prospérité agricole et industrielle. Sous le rapport douanier, elle était soumise au même régime que la France et avait organisé ses moyens de production en conséquence. Elle avait eu un moment d’hésitation en 1860, lors de la conclusion des traités de commerce, mais elle s’était bientôt remise et, grâce à l’intelligente activité de ses fabricans, elle avait repris son assiette, amélioré ses procédés de fabrication, et s’était mise en état de soutenir la concurrence étrangère. Ses débouchés prirent depuis lors, surtout pour les articles de luxe, une grande extension, et le chiffre de ses affaires s’éleva, pour les industries textiles seulement, à la somme énorme de 300,000,000 fr. La situation a bien changé. Du jour au lendemain, — ou plutôt d’une année à l’autre, puisqu’il y eut une année de tolérance pour l’écoulement des marchandises en magasin, — l’Alsace devint pour la France un pays étranger dont les produits durent être taxés à la frontière, et perdit par ce fait son marché principal. Avoir l’empressement que certains hommes d’état français mirent à exclure ses produits, on est exposé à se méprendre sur les sentimens qui devaient les animer en présence du fatal traité qui mutilait la patrie, et à se demander si la douleur qu’ils en éprouvaient n’était pas mitigée par la satisfaction de voir disparaître du marché intérieur une concurrence qui les gênait.

Quoiqu’il en soit, l’industrie alsacienne fut cruellement éprouvée ; organisée en vue de la production des articles de luxe, ou tout au moins de bonne qualité, elle dut se retourner vers l’Allemagne, dont les besoins sont tout autres et qui, ne voulant que des articles à bas prix, se contente de seconds choix. Elle ne put pas, par conséquent, y écouler les marchandises qu’elle fabriquait jusqu’alors, et lorsqu’elle tenta d’en fabriquer d’autres, elle trouva le marché déjà encombré par les marchandises allemandes et anglaises qui pourvoyaient à toutes les exigences de la consommation. La législation douanière, à laquelle elle fut soumise, lui lut également très préjudiciable. Suffisamment protégée par les tarifs français, dont les droits étaient proportionnels à la valeur des produits, elle ne fut plus en état de lutter quand elle se trouva en présence des tarifs allemands, dont les droits sont spécifiques et plus favorables par conséquent aux produits communs qu’à ceux de qualité supérieure dont elle avait la spécialité. La filature se trouva dans l’impossibilité absolue de souteuir la concurrence anglaise pour la production des fils