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disponibles, puisqu’elles sont épuisées ; on les demandera donc encore à l’emprunt. Alors il n’y a plus qu’à se voiler la face et attendre le dernier mot d’une pareille politique, qui sera la banqueroute.

Un pape disait au moyen âge, en parlant des Français : « C’est un peuple bien heureux, il fait des folies toute la journée, et la Providence les répare pendant la nuit. » Hélas ! la Providence nous a un peu abandonnés sous ce rapport et ne répare plus guère nos folies ; c’est donc à nous de veiller à n’en pas faire ou à en faire le moins possible. Or la première folie, et la plus grande, ce sont ces dépenses extraordinaires qui, bien qu’utiles, compromettent nos finances et notre crédit dans une mesure plus forte que le profit qu’on peut en tirer. Il serait d’autant plus facile à l’état de s’abstenir de ces dépenses que la plupart d’entre elles pourraient être faites, je le répète, par l’industrie privée, et le seraient plus économiquement que par l’état. Déjà, sous le deuxième empire, on se plaignait que le gouvernement intervenait trop dans les affaires qui ne le regardaient pas, et on accusait l’empereur d’être socialiste. Qu’était-ce à côté de ce que nous voyons maintenant ? On n’entend plus parler que de l’intervention de l’état sous toutes les formes : il intervient pour doter très largement l’instruction publique, au risque même de porter atteinte à la liberté des citoyens ; il accorde des subventions énormes pour la construction des chemins vicinaux et des écoles, il fait des chemins de fer, rachète même ceux qui sont faits, il établit des caisses de prévoyance en faveur de telle ou telle catégorie. de citoyens. Que ne fait-il pas ? Si on écoutait tous les projets qui surgissent, émanant soit du gouvernement, soit de l’initiative des députés, nous serions en plein socialisme d’état ; toutes les propositions y conduisent, et, à moins que nous ne réagissions avec vigueur contre une pareille tendance, tout sera bientôt compromis.

Après nos désastres militaires de 1870, une seule chose était restée debout et se montrait plus brillante que jamais, c’était notre virtualité économique ; elle profitait de toutes les découvertes de la science et en faisait des applications utiles. Si nous nous abaissions moralement, nous nous relevions au moins matériellement. Eh bien ! ce côté brillant de notre situation, nous. sommes en train de le perdre, d’abord par notre obstination à marcher en arrière sur le terrain de la liberté commerciale, et ensuite par notre entraînement à dépenser l’argent que nous n’avons pas, ce qui fait augmenter notre dette outre mesure, et c’est un gros danger.


VICTOR BONNET.