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Le Stanley qui se fâche tient un langage très différent. Il reproche avec véhémence à M. de Brazza d’avoir trop étudié Machiavel, quoique M. de Brazza prétende ne l’avoir jamais lu. Il lui reproche surtout d’avoir trahi la sainte cause de l’humanité, représentée par une société internationale qui ne fait acception ni des personnes ni des peuples, pour se vouer tout entier au service des intérêts français et conquérir à la France un injuste monopole. Nous respectons infiniment l’association internationale dont le roi des Belges est le président. Mais il n’est pas permis d’ignorer qu’il s’est fondé à Bruxelles un comité d’études du haut Congo beaucoup moins soucieux d’approfondir la géographie de l’Afrique équatoriale et d’y combattre le commerce des esclaves que d’ouvrir de nouveaux débouchés aux marchandises belges. Que la Belgique ait soin de ses intérêts, rien n’est plus légitime ; mais la France a les siens, et on ne saurait lui faire un crime de les défendre. À partir de Vivi, sur toute la route parcourue par M. Stanley, les terrains achetés sont la propriété du comité d’études, et il est interdit de s’y établir sans l’autorisation spéciale de son agent. En s’installant à Brazzaville, la France n’a fait que suivre l’exemple qu’on lui donnait ; elle s’est procuré un gage, une garantie. Comme l’a dit M. de Brazza dans l’un de ses rapports, « deux drapeaux flottent actuellement sur le point le plus rapproché de l’Atlantique, où le Congo intérieur commence à être navigable : sur la rive droite, à Brazzaville, le pavillon français, qui représente notre droit d’accès au Congo intérieur, et, en face de nous, à Stanley-Pool, un pavillon inconnu qui, à l’abri d’une idée internationale d’humanité, de science et de civilisation, tend à inaugurer le monopole commercial d’une compagnie, laquelle espère devenir souveraine et dont le mandataire agit déjà en souverain. » La France peut ratifier le traité avec le roi Makoko sans se mettre en guerre avec personne ; elle ne prétend pas conquérir le Congo, elle prend ses précautions ; elle désire n’être pas sacrifiée.

M. de Brazza a été le serviteur aussi attentif que résolu de son pays. Il a mis à son service un courage tranquille et une rare habileté. M. de Lesseps a eu raison de dire « que dans ce fils d’une Romaine qui a presque engagé sa fortune pour le soutenir dans ce périlleux voyage, la France acclamait un représentant de ces qualités qui font les plus grandes choses, la chaleur de l’âme, la persévérance de la volonté. » La presse tout entière a rendu justice à son dévouaient, les journaux de toute nuance sont tombés d’accord pour demander que le traité fût ratifié. C’est aux chambres, c’est au gouvernement de faire le reste, en ne marchandant pas leur concours à l’œuvre et à l’ouvrier.


G. VALBERT.