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admiré les toilettes au bal du premier acte, deux amies des jours prospères, deux petites bêtes de luxe, — de quel luxe et combien bêtes ! — de celles qu’il y a quinze ans l’auteur de M. de Camors appelait négligemment « des animaux jolis qui suivent leur instinct. » Elles arrivent du concours hippique, accompagnées par le baron Chevrial. Et leur caquetage, leur indiscrétion, leur curiosité, même le froufrou de leur pitié, qui s’amuse complaisamment de tout le détail de la vie de Marcelle, jusqu’à leurs inflexions de voix larmoyantes qui plaignent ses douleurs quotidiennes, jusqu’à leurs gestes caressans qui viennent tâter sa misère, tout, de ces jolies perruches, irrite et froisse la jeune femme, si bien que le baron Chevrial est bien venu à les interrompre : « Eh ! mesdames, je ne trouve pas Mme de Targy aussi à plaindre que vous le dites, puisqu’elle garde dans son malheur de bonnes petites amies qui lui prodiguent des consolations comme les vôtres. »

Les perruches s’envolent, et Marcelle reste avec le baron. Elle le remercie d’abord de leur avoir parlé comme il a fait. Il la console : « Votre situation ne peut manquer de s’améliorer. — Comment ? Nous n’attendons rien. — Il y a peut-être des gens qui s’intéressent à vous. — Qui ? — Moi, par exemple. » On voit la scène. Elle est menée avec autant de sûreté que de délicatesse. Le baron, pied à pied, gagne du terrain sans brusquer l’entreprise, sans choquer les convenances. La jeune femme lui répond avec un tact, avec une prudence, avec une dignité où le plus fin comme le plus sévère ne trouverait rien à redire. « L’avenir de votre mari, dit le baron, dépend de lui et un peu de vous. — Comment ? — Je suis enchanté de ses services, mais je ne puis rendre l’amitié pour la haine ; or madame, vous avez toujours été mon ennemie. — Votre ennemie, monsieur ! je ne l’ai jamais été, et je la suis moins que jamais depuis que nous vous devons de la reconnaissance. — Je ne veux pas de reconnaissance. — Que voulez-vous ? — De l’amitié. — Notre amitié répondra, n’en doutez pas, à vos bons procédés. — Mais je parle de la vôtre en particulier. — Je n’ai pas fait d’exception pour la mienne. » Le traité d’alliance est signé : le baron baise la main de Marcelle et se retire. À peine est-il parti qu’elle se redresse, comme secouant un cauchemar : « Et je l’ai écouté jusqu’au bout ! J’ai feint de ne pas comprendre ! Misérable ! Mais, si je reste ici, je suis perdue ! Dans une heure de défaillance comme celle-ci, je succomberai… Pourquoi m’ont-ils empêchée de partir,.. de partir pour l’Amérique ? .. C’était le salut ! .. » Ainsi, par une de ces réfractions de sentimens si fréquentes dans un cerveau de femme et dans un cerveau saturé de l’air pestilentiel de Paris, — mais ces phénomènes de réfraction, quel observateur exquis ne faut-il pas pour les noter ! — c’est un mouvement d’honneur qui jette Marcelle de Targy hors des voies de l’honneur : par la porte resté