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où elle se meut, du second et du quatrième : Marcelle de Targy sera un monstre, ou plutôt elle ne sera plus.

D’ailleurs, M. Feuillet n’est pas seulement un témoin, mais un juge. Le second acte et le quatrième sont également d’un homme qui connaît son Paris ; mais le second n’est que la déposition d’un observateur, rédigée d’une façon scénique ; le quatrième est la conception théâtrale d’un moraliste servi par un poète. Hé oui ! sans doute ce quatrième acte a sa poésie, sa morale, sa philosophie lyrique, si l’on veut ; nous convenons de ces singularités, et l’auteur ne s’en défend pas. Mais cette poésie, cette morale, cette philosophie lyrique est-elle théâtrale ? Est-elle extraite de la pièce ? ou, pour mieux dire, n’en est-elle pas l’âme ? Le malheur des personnages que voici est le crime de la société où ils vivent ; le poète qui nous les a montrés, connaît cette société mieux que personne, il la dépeint, il la juge ; — il la juge avec l’autorité d’une métaphysique dont on pourrait disputer, mais avec le prestige d’un lyrisme qui n’est pas pour nous déplaire. Quand Chevrial s’affaisse, foudroyé d’apoplexie, après un toast au dieu million, après un toast à la matière, ce n’est pas seulement un homme qui meurt en scène, par un accident auquel l’auteur dramatique nous a préparés, c’est le représentant d’une société coupable, ou plutôt cette société elle-même représentée par un homme qui suit enfin le conseil du marquis d’Auberive : « Crève donc, société ! »

Le public parisien ne s’est pas fâché de cette dure, hardie et magnifique leçon. Il a respectueusement applaudi ce quatrième acte, après avoir acclamé le troisième, avant de pleurer au dernier. S’il est vrai que « la grande règle de toutes les règles soit de plaire et qu’une pièce de théâtre qui a attrapé son but ait suivi un bon chemin, » il fait beau reprocher à ce drame de faire l’école buissonnière ! Au moins n’a-t-il pas fait buisson creux : longtemps on applaudira sous les noms de ces personnages Mme Pasca, Jeanne Brindeau, Marie Magnier et Volsy, MM. Marais, Saint-Germain, Landrol et Noblet. Si je ne fais pas en détail l’éloge de ces huit comédiens, c’est que la matière serait trop longue à traiter : chacun, dans son rôle, atteint presque à la perfection. Ajoutez que la mise en scène. est d’une justesse et d’une magnificence-où messieurs de la Comédie-Française ne trouveraient rien à reprendre. Pourquoi n’est-ce pas eux que nous en pouvons féliciter ?


LOUIS GANDERAX.