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vif chagrin. Un devoir impérieux m’oblige à concentrer mes pensées en moi-même, pour en épargner le contre-coup aux personnes qui m’entourent de leur affection, et qui d’ailleurs seraient bien incapables de comprendre mon tremble. Leurs soins et leurs caresses me désolent. Ah ! si elles savaient ce qui se passe au fond de mon cœur !

Depuis mon séjour en ce pays, j’ai acquis des données importantes pour la solution du grand problème qui me préoccupe. Plusieurs ; circonstances m’ont tout d’abord fait : comprendre la grandeur dut sacrifice que Dieu, exigeait de moi, et dans quel abîme ; me précipitait, le partit que me conseille ma conscience. Inutile de vous en présenter le pénible détail, puisqu’après tout de pareilles considérations ne doivent être d’aucun poids dans la délibération dont il s’agit. Renoncer à une voie qui m’a souri dès mon enfance, et qui me menait sûrement aux fins nobles et pures que je m’étais proposées, pour en embrasser une autre où je n’entrevois qu’incertitudes et rebuts ; mépriser une opinion qui pour une bonne action ne me réserve que le blâme, eût été peu de chose, s’il ne m’eût fallu en même temps arracher la moitié de mon cœur, ou, pour mieux dire, en percer un autre auquel le mien s’était si fort attaché. L’amour filial avait grandi en moi de tant d’autres affections supprimées ! Eh bien ! c’est dans cette partie la plus intima de mon être que le devoir exige de moi les sacrifices les plus douloureux. Ma sortie du séminaire sera pour ma mère une énigme inexplicable ; elle croira que c’est pour un caprice que je l’ai tuée.

En vérité, monsieur, quand j’envisage cet inextricable filet où Dieu m’a enlacé durant le sommeil de ma raison et de ma liberté, alors que je suivais docilement la ligne que lui-même traçait devant moi, de désolantes pensées s’élèvent dans mon âme. Dieu le sait, j’étais simple et pur ; je ne me suis ingéré à rien faire de moi-même ; le sentier qu’il ouvrait devant moi, je m’y précipitais avec franchise et abandon, et voilà que ce sentier m’a conduit à un abîme ! .. Dieu m’a trahi ! monsieur. Je n’ai jamais douté qu’une providence sage et bonne ne gouvernât l’univers, ne me gouvernât moi-même pour me conduire à ma fin. Ce n’est pourtant pas sans efforts que j’ai pu appliquer un démenti aussi formel aux faits apparens. Je me dis souvent que le bon sens vulgaire est peu capable d’apprécier le gouvernement providentiel soit de l’humanité, soit de l’univers, soit de l’individu. La considération isolée des ; faits ne mènerait guère à l’optimisme. Il faut du courage pour faire à Dieu, cette générosité, en dépit de l’expérience. J’espère n’hésiter jamais sur ce point, et, quels que soient Tes maux que la, Providence me réserve encore, je croirai toujours qu’elle me mène à mon plus grand bien possible par le moindre mal possible.

D’après des nouvelles que je viens de recevoir d’Allemagne, la place