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journaux, mais il ne m’a pas paru faire grand effet. Chacun Salt que l’imputation est vraie, ce qui n’empêchera pas ces conseillers d’être renommés, eux ou leurs pareils.

Mon hôte est plein d’une confiance qui me paraît tout à fait justifiée dans l’avenir de la Californie. Ce qui a fait autrefois la célébrité de la Californie, ce sont ses mines d’or. Aujourd’hui, ce qui fait sa richesse, ce sont ses grandes exploitations agricoles. Mon hôte me cite le nom d’un propriétaire qui a envoyé en Europe par le cap Horn dix vaisseaux chargés de sa récolte de blé. Cela ne veut pas dire, au reste, que l’exploitation des mines ait été abandonnée. Seulement la recherche un peu illusoire de l’or a été remplacée par celle beaucoup plus profitable du cuivre et du mercure. Ce merveilleux pays, au reste, produit tout ; la culture de la vigne, celle des arbres fruitiers y a pris un grand développement, et c’est la Californie qui approvisionne de vin, de fruits, d’oranges tous les États-Unis. Lorsque les trois chemins de fer qui doivent relier San-Francisco à la côte de l’Atlantique seront achevés, lorsque l’isthme de Panama sera percé, lorsque (ce qui ne saurait manquer d’arriver tôt ou tard) l’empire de la Chine sera librement ouvert au commerce, San-Francisco deviendra la quatrième ville du monde, à supposer que New-York, Londres et Paris soient les trois premières, et peut-être, avec sa baie, où toutes les flottes connues pourraient tenir à l’aise, le plus grand entrepôt commercial du globe. Il ne manque à la Californie qu’une chose, c’est la population, et ceci nous amène tout naturellement à la fameuse question des Chinois.

Mon hôte est fort opposé aux Chinois. Cela me paraît contradictoire, et je me permets d’abord de l’en plaisanter un peu. « C’est, lui dis-je, une conséquence du libre échange dont, sous d’autres rapports, vous profitez. Nous supportons votre blé ; supportez vos Chinois. » Une conversation plus approfondie avec lui m’a fait, je ne dirai pas changer d’avis, mais du moins comprendre que la question était assez complexe. La raison que les hommes sérieux donnent pour restreindre ou prohiber l’importation des Chinois, ce n’est pas tant que ceux-ci, travaillant à vil prix, font baisser le prix de la main-d’œuvre, car ce bon marché qui nuit aux uns profite aux autres ; c’est que, tout le travail étant accaparé par eux, rien n’attire en Californie l’élément des émigrans allemands ou irlandais qui redoutent une concurrence insoutenable. Or, tandis que ces émigrans allemands ou irlandais s’établiraient dans le pays, y dépenseraient l’argent qu’ils auraient gagné et deviendraient des citoyens californiens, les Chinois, au contraire, amassent, thésaurisent, mais c’est pour tout envoyer en Chine, où ils comptent retourner