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de Nobiling ou le pistolet de Moncasi, le poignard de Passanante, les Dombes de Sophie Perovski et de Kibalichich, n’ apportaient-ils pas coup sur coup un argument à la thèse du pontife ? Léon XIII, du reste, ne semblait pas vouloir vendre trop cher l’appui de l’église. Il se gardait d’afficher aucune des prétentions capables d’effaroucher le pouvoir civil : il ne réclamait, avec la liberté de l’église, que le droit d’enseigner aux peuples la soumission aux puissances. Ces offres de concours, Léon XIII les adressait à tous les gouvernemens, aux républiques comme aux monarchies, aux maîtres hérétiques de la fidèle Irlande, au tsar autocrate qui personnifie le schisme, et au kaiser allemand, à la fois héritier de Barberousse et de Luther, aussi bien qu’à sa majesté catholique et à sa majesté apostolique. Le moyen âge se représentait la société, la cité chrétienne sous la forme d’une ville aux remparts crénelés, assiégée par des loups et des bêtes féroces symbolisant l’hérésie et les doctrines perverses, dépendue sous la conduite du pape, de l’empereur et des rois, trônant sous un dais, par la double milice ecclésiastique et séculière des chevaliers, des princes et des moines de l’église. C’est toujours sous cette forme qu’on pourrait figurer la cité humaine, telle qu’on se la représente autour de Léon XIII, mais les murailles s’en sont élargies. Les fils dévoués de l’église et les princes catholiques n’y ont plus seuls accès ; il y a place à côté d’eux pour le protestant et le schismatique. L’ennemi que tous doivent combattre d’accord, les loups croissans qu’il s’agit de repousser, c’est l’athéisme, le socialisme, la révolution, qui menacent de dévorer la vieille civilisation occidentale.

Dans cette lutte contre l’ennemi commun, que vaut le concours de l’église ? Son pouvoir paraît bien déchu ; l’appui que, par la bouche de son chef, elle offre à ses anciens alliés et rivaux, paraît ou précaire ou compromettant. Dépouillée de sa couronne temporelle, spoliée dans la plupart des états de ses biens et de ses antiques privilèges, assaillie de tous côtés, il semble que désormais elle puisse reprendre comme armoiries les symboles des catacombes, Daniel dans la fosse aux lions. Jouas dans le ventre de la baleine ou Noé dans l’arche flottant sur les eaux du déluge. N’est-ce point de la présomption de sa part que d’offrir ainsi son aide à des gouvernemens appuyés sur des millions de baïonnettes ?

Si désarmée que soit l’église, si diminué que paraisse son empire sur les âmes et sur les sociétés, elle possède encore une force propre sans égale ni analogue dans le monde, en dehors des sourdes puissances qui fermentent dans l’Islam. En face du fractionnement des partis et des opinions, au milieu de la pulvérisation des influences sociales, l’église reste encore la plus grande force morale vivante. Quand on envisage le rôle de la religion dans notre âge de sceptique