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souffrances communes à des partis politiques dont il leur coûtait de renier la compromettante solidarité. Ces répugnances, plus ou moins naturelles, cette sourde opposition, devaient fatalement influer sur l’attitude et les plans du saint-père, modifier sa conduite, parfois même le mettre plus ou moins en désaccord avec ses idées ou ses vues, le contraindre à des tergiversations et à des irrésolutions qui tiennent aux conjonctures extérieures plutôt qu’à un défaut de volonté, à un manque d’esprit de suite ou à un secret découragement.

Par caractère comme par principe, en effet, Léon XIII est l’homme le moins enclin à briser toutes les résistances, à imposer ses vues de haute lutte. Les qualités de prudence et de patience, la modération et l’esprit d’apaisement qu’il voulait apporter dans les relations du saint-siège avec les états, il les a naturellement déployés dans le gouvernement intérieur de l’église, cherchant à y étouffer les divisions intestines, à y maintenir la concorde, sans prendre ouvertement fait et cause pour aucun parti ou aucune tendance. D’un autre côté, comme homme de tradition et d’autorité, il est désireux de restaurer l’ascendant du sacré-collège et de l’épiscopat, parfois compromis par l’intrusion d’un laïcisme turbulent ou par les excès de la centralisation romaine. Par là même il était plus qu’aucun pontife disposé à écouter la voix des évêques, dont il cherchait à relever les prérogatives, plus qu’aucun autre porté à ménager les susceptibilités ou les préventions de son entourage.

Cette double déférence du pape et de l’homme envers l’épiscopat ou le sacré-collège devait accroître ou, pour mieux dire, exagérer sa circonspection naturelle, fortifier son penchant pour les tempéramens et par suite pour la temporisation. On prétend parfois découvrir un contraste, un changement d’attitude, entre les premiers mois et les dernières années de son pontificat encore si court ; si le fait est fondé, c’en est là, je crois, l’explication.

En tout cas, Léon XIII a déjà éprouvé plusieurs fois que, si dévoués que fussent les fils de l’église, il n’était pas toujours facile de les diriger du fond de la cour de Saint-Damas. Cela s’est vu surtout dans les pays où les catholiques forment des partis, politiques ou nationaux, régulièrement constitués. Laissant de côté l’Espagne et l’Irlande, où le saint-père s’est parfois heurté à des difficultés du même genre, la petite Belgique et la puissante Allemagne ont chacune à leur manière montré que, pour le règlement des affaires ecclésiastiques, la papauté dans ses négociations avec le pouvoir civil n’était pas omnipotente. Dans l’église la plus unifiée du monde, les préjugés et les intérêts, locaux ou nationaux,’sont encore un facteur que l’on ne saurait négliger. Les partis, qui avec un zèle plus ou moins désintéressé militent sous la bannière des clés de saint Pierre, sont