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et de la prépondérance française. Aucun homme d’état peut-être n’a, ni dans un sens ni dans l’autre, moins sacrifié à l’idéalisme, aux rêves désintéressés, aux utopies de l’avenir ou du passé. Pour lui, alors même qu’il semble épris de chimères, ainsi que dans sa conversion au socialisme d’état, tout au fond se réduit en expédiens. Si chrétien, si monarchiste qu’il fasse profession de l’être, qu’il le soit même sincèrement, la religion et la révolution sont à ses yeux des forces dont il entend se servir pour ses fins sans jamais s’asservir aux leurs. Pour lui, l’église et le socialisme peuvent être tour à tour des adversaires ou des amis ; mais, pour lui, les alliés ne sont que des instrumens qu’on change suivant les conjonctures. Dans sa prodigieuse carrière il n’a eu qu’un but, la création, puis la consolidation de l’empire de la Prusse en Allemagne. À cet égard, on pourrait le rapprocher de notre indomptable compatriote, M. de Lesseps ; comme ce dernier, il n’a jamais en vue que son œuvre et le rêve réalisé de sa vie, avec cette différence qu’on peut se flatter de percer plusieurs isthmes, tandis qu’à moins de folie, on ne saurait prétendre fonder plusieurs empires.

M. de Bismarck en a agi avec le pontife de Rome un peu comme avec le calife de Constantinople, ne se faisant pas plus de scrupule d’encourager les visions du panislamisme que les illusions de l’ultramontanisme, laissant à l’occasion flotter au-dessus du Vatican, comme devant Yldiz-Kiosk, le mirage de son tout-puissant appui. Plus vastes étaient les espérances suscitées à la cour papale par ses premières avances, et plus il en attendait de concessions pour ce qui seul lui tenait à cœur, pour les affaires particulières de l’Allemagne. S’il n’en a pas obtenu davantage, c’est qu’après une courte période d’enchantement, la curie a découvert l’inanité des grands rêves fondés sur l’alliance prussienne.

Un des caractères des interminables négociations du saint-siège et du chancelier, c’est que la pacification religieuse de l’Allemagne, qui en semblait le seul objet, n’en était pour aucune des deux parties ni l’unique ni peut-être le principal but. Si à cœur que le souverain pontife eût la fin des souffrances de l’église en Prusse, ce que le Vatican escomptait avant tout dans une réconciliation avec Berlin, c’était l’amélioration de sa situation internationale, c’était le concours du nouvel empire vis-à-vis du jeune royaume dont le saint-siège se dit le captif. Pour M. de Bismarck, la paix religieuse n’était manifestement qu’un objet secondaire. L’essentiel, c’était d’amener par la fin du Culturkampf un nouveau groupement des partis, c’était, grâce au centre ultramontain, de faire passer ses projets parlementaires favoris. Si, après avoir paru tout près de signer un compromis, le Vatican et Varzin n’ont encore pu s’entendre, c’est en partie que, des deux côtés, on s’est aperçu qu’on avait peu de chances