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ne se le figurent d’ordinaire catholiques et libres penseurs. Devant les perspectives qui épouvantent la plupart des conservateurs politiques, il peut entrevoir des chances d’un rôle nouveau, des occasions de revanche pour l’église. Certes, par déférence pour les monarchies dont il peut encore espérer le concours, non moins que par méfiance pour la démocratie qui, en Europe, n’a rien épargné pour s’aliéner l’église ; par respect de l’esprit traditionnel et du principe d’autorité, dont la papauté se donne comme la plus haute personnification, autant que par antagonisme avec la révolution, qui n’en veut pas moins à l’église qu’aux rois, le saint-siège n’est nullement enclin à précipiter le cours des destinées de l’Europe, à aplanir les voies des transformations possibles, à ébranler de ses mains ce que d’autres minent sourdement ; mais la catastrophe, si elle devait jamais venir, ne le prendrait probablement pas au dépourvu, et, avec l’admirable souplesse dont il a donné tant de preuves, elle le trouverait peut-être prêt à tirer parti du bouleversement intérieur des états.

En attendant l’heure de ces hypothétiques révolutions, le Vatican continue à montrer aux souverains et aux états la religion comme la seule base de l’ordre social et de la fidélité des peuples. Une des raisons pour lesquelles le saint-siège est aujourd’hui loin de faire des vœux pour la chute des trônes, c’est que la papauté n’a point désespéré de reprendre sa place parmi les rois de ce monde. Elle compte encore sur eux pour l’aider tôt ou tard dans cette restauration. Le jour où elle viendrait à perdre toute foi dans l’appui des couronnes, la papauté ne serait pas loin de s’en détacher et de tenter d’autres voies, dussent-elles être périlleuses. Si Rome arrivait à se persuader que la monarchie ne peut être relevée pour le successeur de saint Pierre, elle se résignerait aisément à la voir s’écrouler partout autour d’elle, dans son voisinage immédiat particulièrement. Un jour viendra peut-être où l’on entendra dire : Si le vicaire du Christ ne doit plus être roi, plus de roi !

Avec la monarchie italienne la papauté a déjà une attitude toute spéciale, radicalement différente de celle qu’elle affiche vis-à-vis de tous les gouvernemens. Tandis qu’à tous les états, à tous les régimes, catholiques ou non, le saint-siège fait des avances significatives, Léon XIII est demeuré en face du gouvernement italien, dans une réserve absolue, ne tentant rien, n’offrant rien, se montrant, avec un peu plus de retenue dans la forme, non moins inflexible que son prédécesseur. Et cela vis-à-vis du gouvernement qui semblait le plus en droit de compter sur la modération du souverain pontife, dans l’état où le clergé et les catholiques étaient le plus désireux de voir une réconciliation, le plus disposés à lui faire des sacrifices. C’est là, où les idées de transaction eussent été le mieux accueillies