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une petite partie du littoral. L’idée s’est réalisée dans une construction où les qualités nautiques sont volontairement sacrifiées et l’art réduit à ces termes : faire flotter la plus grosse pièce sur la plus petite coque. Tels sont les types de canonnières qui forment la force principale de certaines marines.

Quand le littoral d’un pays offre peu d’étendue, quand la violence des courans ou les hauteurs des fonds en interdisent l’approche et ne permettent aux grands navires que l’accès de quelques fleuves ou de quelques baies, la protection locale est économique et efficace. Le front d’attaque est assez étroit ou les routes d’invasion assez rares pour que les bâtimens de défense puissent attendre immobiles l’ennemi sur son passage nécessaire ; et dans les rades et dans les rivières sa marche présente assez d’obstacles d’ordinaire pour que des navires, même faibles, suffisent à l’arrêter. Mais pour peu que les côtes soient étendues et leur accès facile, tout change. Que l’on calcule la somme nécessaire à produire une flotte normale et la somme qu’il faudrait pour placer le même armement sur des bâtimens de flottille, si exigus soient-ils, la seconde l’emporte sur la première. Concentré sur des escadres, l’armement agit tout entier partout où elles le portent et protège tous les points où elles peuvent devancer l’ennemi. Partagé sur un grand espace de côtes, il n’applique partout qu’une faible partie de sa puissance et devient incapable de la réunir. Comme on ne peut prévoir quelles attaques il devra repousser, plus il est immobile, plus il lui faut être fort sur chaque point. Et quand cette protection locale aurait atteint son maximum, quand tout ennemi pénétrant dans la mer territoriale serait sous le feu d’un canon de gros calibre, ce canon suffira-t-il contre les canons plus nombreux d’un navire, d’une division, d’une escadre ? Si un secours est nécessaire, d’où-viendra-t-il ? La surveillance de la haute mer faisant défaut, les embarcations que couvre l’ombre du rivage apercevront-elles l’ennemi ? Dépourvues de vitesse, obligées, tandis que l’assaillant fond en ligne droite du large, de suivre une route qu’allongent toutes les sinuosités du littoral, arriveront-elles à temps dans les eaux les plus voisines ? Quel secours d’ailleurs leur présence apporterait-elle contre des bâtimens cuirassés ? Un seul suffira à mettre l’un après l’autre hors de combat les défenseurs isolés du rivage.

Pour leur épargner ce sort, il faut les doter, outre l’armement, de vitesse et d’invulnérabilité. Les en doter, c’est les rendre aptes à la navigation de haute mer. N’est-il pas sage alors de mettre à profit leurs qualités pour diminuer leur nombre, et de satisfaire à tous les besoins en dotant les uns de vitesse, les autres d’une protection supérieure ? Et la logique ne conduit-elle pas pour la défense à la constitution de la même flotte qui assure l’offensive ?