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guerre n’est pas une équation que le calcul seul résolve : la valeur des hommes et la faveur des événemens y suppléent parfois à tout le reste, et il n’est guère de règle que ne puisse convaincre de mensonge le génie d’un grand capitaine. Le plus illustre l’indiquait quand il a dit : « Achille était fils d’une déesse et d’un mortel, c’est l’image du génie de la guerre ; la partie divine, c’est tout ce qui dérive des considérations morales, du caractère, du talent, de l’intérêt de votre adversaire, de l’opinion, de l’esprit du soldat, qui est fort et vainqueur, faible et battu, selon qu’il croit l’être : la partie terrestre, ce sont les armes, les retranchemens, les positions, les ordres de bataille, enfin tout ce qui tient à la combinaison des choses matérielles. »

Mais, sans méconnaître ce que les positions militaires gagnent ou perdent à la valeur de ceux qui les attaquent ou les gardent, il ne faut pas négliger cette « combinaison des choses matérielles ; » il importe de les organiser de manière qu’elles suffisent avec une habileté moyenne. C’est rendre la tâche du génie, s’il se rencontre, plus facile que de commencer par ne compter pas trop sur lui.

Il est d’évidence que, pour soutenir des luttes d’artillerie, un ouvrage a besoin d’un armement efficace, et efficace à la même portée où l’adversaire devient dangereux. Toute position ayant vue sur le large peut être battue par les canons de 100 tonnes de navires cuirassés à 0m,75 ; elle n’est pas en état de défense si elle ne possède pas des pièces égales aux plus puissantes en usage sur les flottes. À l’égalité dans l’armement doit se joindre l’égalité dans la protection. En France, où naquit l’artillerie rayée, on eut le sentiment immédiat qu’elle enlevait aux anciens moyens de protection leur efficacité. Des expériences faites en 1854, contre un fort à la Vauban, dans l’île d’Aix, prouvèrent l’insuffisance des maçonneries : sous le choc des nouveaux projectiles, la maçonnerie, volant en éclats, devenait, au lieu d’un couvert, une mitraille dangereuse pour les défenseurs. Dès ce moment apparut la nécessité de ne laisser aucun revêtement de pierre exposé à l’artillerie et, puisque la dureté du roc était vaincue, pour former les fortifications on choisit la matière la moins résistante, la terre et le sable, où le boulet ne déplaçât que de la poussière et où s’ensevelît son effort. L’épaisseur de ces masses couvrantes dut croître en même temps que croissait la portée des pièces. Dans les sièges de 1870, il fut établi que 6 mètres de terre n’étaient pas capables de résister aux pièces de position. Aujourd’hui l’artillerie même de campagne traverse des parapets de 4 mètres, et contre les pièces de siège les couverts ont jusqu’à 8 mètres ; cette épaisseur est loin d’être suffisante contre la grosse artillerie de marine, qui a un calibre double des plus fortes pièces de siège. Le canon de 100 tonnes fabriqué à Turin et essayé à la Spezzia, en 1880, enfonçait son projectile de 10 à 12 mètres, dans le sable.