Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/431

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’état a constitué durant de longues années l’avantage le plus apparent de ses travaux. Un personnel, instruit dès l’enfance dans l’arsenal, sobre de désirs et qui d’ailleurs n’aurait pas trouvé hors des chantiers maritimes l’emploi de ses connaissances spéciales, se contentait d’une vie médiocre et sûre sous le patronage du gouvernement. Mais l’invasion de besoins nouveaux, d’idées nouvelles, l’analogie chaque jour plus complète entre le rôle des arsenaux et celui d’usines nombreuses ont donné aux ouvriers des constructions navales le goût et le moyen de trouver des salaires plus élevés. Les hommes actifs, habiles, capables de donner beaucoup en travail pour recevoir beaucoup en salaires, ont été attirés hors des arsenaux. Les chantiers de l’état ont gardé surtout les hommes amis d’une situation modeste et régulière, capables d’efforts modérés et résignés à recevoir peu pourvu qu’on n’exigeât d’eux pas davantage. Cette émigration vers les chantiers de l’industrie avait à ce point affaibli le niveau professionnel dans les arsenaux que les diverses puissances maritimes ont dû améliorer la situation du personnel ouvrier. Aujourd’hui, si l’on compare les salaires des chantiers nationaux et ceux des chantiers privés, si l’on tient compte des secours divers et des pensions qui augmentent le chiffre apparent du gain, on arrive à cette conclusion : le salaire moyen des ouvriers de l’état n’est pas inférieur à celui des ouvriers employés par l’industrie. Or ces ouvriers qui reçoivent un traitement égal donnent un travail moindre, à cause des méthodes employées.

Pour la plupart, les ouvriers de l’état sont payés à la journée, ceux de l’industrie à la tâche. Les uns gagnent en proportion de ce qu’ils font et quelque temps qu’ils y mettent ; les autres, quoi qu’ils fassent, à mesure que l’heure s’écoule. La première méthode sollicite sans relâche leur activité. La seconde les détourne de tout effort par le sentiment que leur travail est sans influence marquée sur leur carrière et, nul pour un même prix n’aimant à se donner plus de peine, au lieu d’une rivalité de zèle, elle crée une émulation d’inertie. Partout où les deux régimes ont été essayés ils ont amené le même résultat. Partout où l’on interroge les ingénieurs, les chefs d’usine, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, en France, on entend une seule réponse : la production dû travail à la tâche dépasse toujours la production du travail à la journée, et d’une quantité normale, à peu près le tiers.

Si les travaux accomplis par l’état coûtent plus de main-d’œuvre, ils coûtent aussi plus de matières que les travaux accomplis par l’industrie. Les arsenaux comme les chantiers privés achètent à peu près toutes les matières destinées à la flotte de combat. Ces matières sont demandées aux mêmes fournisseurs, acceptées après les mêmes épreuves, sous le contrôle des mêmes hommes qui représentent